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Estime de soi.

"Le petit canard", 2008, acrylique sur toile, 22 x 16 cm.

« Le nouveau est le plus beau, si jeune et si gracieux. Les vieux cygnes s’inclinaient devant lui. Il était tout confus, notre petit canard, et cachait sa tête sous l’aile, il ne savait lui-même pourquoi. Il était trop heureux, pas du tout orgueilleux pourtant, car un grand coeur ne connaît pas l’orgueil. Il pensait combien il avait été pourchassé et haï alors qu’il était le même qu’aujourd’hui où on le déclarait le plus beau de tous ! Les lilas embaumaient dans la verdure, le chaud soleil étincelait. Alors il gonfla ses plumes, leva vers le ciel son col flexible et de tout son coeur comblé il cria : "Aurais-je pu rêver semblable félicité quand je n’étais que le vilain petit canard !" » Hans Christian Andersen (1805-1875) extrait de "Le Vilain Petit Canard" (1842) (1).


Le vilain petit canard.

Sur ce "1 figure" intitulé "Le petit canard", j’ai préféré peindre le vilain petit canard que le majestueux cygne blanc, pourquoi ? "Le Vilain Petit Canard" fut écrit par Andersen en juillet 1842, après l’échec de la pièce de théâtre "L’Oiseau dans le poirier", qui fut sifflée à la première. Dans ce conte, Andersen a placé les principales périodes de sa vie.

Résumé : Le vilain petit canard naît différent des autres oiseaux du village ; il est rejeté de tous à cause de son physique. Il en est réduit à s’exiler pour ne plus subir les moqueries et les coups des autres. Mais il continue à vivre seul car ceux qu’il rencontre ne l’acceptent pas vraiment, jusqu’au jour où il va oser aller vers des cygnes : eux ne le chassent pas ; il découvre alors qu’il est lui-même un cygne majestueux.

On peut parler de récit initiatique à propos du "Vilain Petit Canard", qui montre comment l’enfant, en grandissant, doit apprendre à se connaître lui-même et s’accepter tel qu’il est, même si son entourage lui renvoie de lui-même une image négative et ne l’aide pas à développer l’estime de soi. Mais une interprétation autobiographique retiendra la revanche du poète (le cygne) sur les gens ordinaires (les canards), lorsqu’il découvre un milieu qui lui permet de reconnaître son talent.

Le psychanalyste Bruno Bettelheim (1903/1990), célèbre par son livre "Psychanalyse des contes de fées" (2), dans lequel il explique que les contes de fées exercent une fonction thérapeutique sur l’enfant, critique assez durement le conte d’Andersen. Il remarque qu’il incite l’enfant à se croire d’une espèce différente de son entourage. Il s’agit selon lui d’un conte qui s’adresse Plutôt aux adultes. Le médecin, éthologue, neurologue et psychiatre Boris Cyrulnik, a écrit un livre à ce sujet, au titre évocateur "le vilain petit canard" (3), dans lequel il développe le concept de résilience. Il s’agit d’un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l’événement traumatique pour ne plus vivre dans la dépression .

La résilience serait rendue possible grâce à la réflexion, à la parole, et l’encadrement médical d’une thérapie, d’une analyse. La résilience est, à l’origine, un terme technique pour expliquer la résistance des matériaux aux chocs. Les premières publications dans le domaine de la psychologie à ce sujet, datent de 1939/1945. Werner et Smith, deux psychologues scolaires américaines à Hawaï, USA, travaillaient avec des enfants à risque psychopathologique, condamnés à présenter des troubles. Elles les ont suivis pendant trente ans et ont noté qu’un certain nombre d’entre eux "s’en sortaient" grâce à des qualités individuelles ou à des opportunités de l’environnement. La résilience serait le résultat de multiples processus qui viennent interrompre des trajectoires négatives, mais elle est dynamique et parmi les processus qui contribuent à la résilience, on a pu en repérer neuf : La défense-protection. L’équilibre face aux tensions. L’engagement défi. La relance. L’évaluation. La signification-valuation. La posivité de soi. La création.

Le bébé canard représenté dans cette petite peinture ne saura jamais qu’il ne sera jamais un majestueux cygne blanc.

Le récit.

« Plus j’explore la résilience, plus je suis surpris par ce que je découvre. Cette fois, en voulant comprendre pourquoi la résilience ne marchait pas à tous les coups, j’ai poussé une nouvelle porte. Après un traumatisme, ce sont les récits qu’en font la famille, le quartier, la culture qui vont détruire la victime ou la sauver. C’est ce que j’appelle le déterminisme verbal.» (4).

Les catastrophes font avancer les sociétés.

« Quand l’aspect symbolique disparaît, l’homme enclenche des mécanismes archaïques de défense et c’est la porte ouverte à tous les délires meurtriers. La résilience ne vaut pas qu’au niveau de l’individu. Les cultures se sont construites par catastrophes successives. On part dans une direction et soudain il se passe quelque chose : la disparition des dinosaures, le trou dans la couche d’ozone... La catastrophe, ce n’est jamais le désastre. La vie reprend son cours, mais d’une autre manière. Les catastrophes font avancer les sociétés. Beaucoup de biologistes pensent même que l’évolution est une suite de catastrophes. Ils parlent de « résilience naturelle. »

Le "Radeau de la Méduse" une thématique picturale à toute épreuve (5).

« Nos musées sont remplis de souffrances transformées en œuvres d’art. Pour soutenir le regard des survivants, la société a besoin d’esthétiser la souffrance. Les artistes sont les médiateurs qui font entendre le récit des victimes. Créer, c’est aussi revenir à la vie. Les artistes maîtrisent leur souffrance, en font une œuvre d’art. Sans souffrance, il n’y aurait pas de “Radeau de la Méduse”, pas de films, pas de romans, pas d’essais philosophiques... C’est aussi le rôle des contes pour enfants comme "Peau d’âne" ou "Le Petit Poucet" : tenir, grâce aux mots, le réel à distance.» Boris Cyrulnik dans "Autobiographie d’un épouvantail" (6).

Jean-Bernard Pouchous, 2009.

Bibliographie :

-1- Hans Christian Andersen, Œuvres, éd. Bibliothèque de la Pléïade, 1995.

-2- Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, éd. Pocket, 1999.

-3- Boris Cyrulnik, Le vilain petit canard, éd. Odile Jacob, 2001.

-4- Boris Cyrulnik, La résilience: Ou comment renaître de sa souffrance?, éd. Fabert, collection Penser le monde de l’enfant, 2009.

-5- Norbert-Bertrand Barbe, Les thèmes du Radeau de la Méduse, de Theodore Géricault, éd. Les Editions, collection Pensée de l’image, 2001.

-6- Boris Cyrulnik, Autobiographie d’un épouvantail, éd. Odile Jacob, 2008.

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