Poupée.
"Doll", 2017, acrylique sur toile, 22 x 16 cm.
« Quand je suis allé au Trocadéro, c’était dégoûtant. Le marché aux Puces. L’odeur. J’étais tout seul. Je ne partais pas. Je restais. Je restais. J’ai compris que c’était très important : il m’arrivait quelque chose, non ? (…) J’ai compris pourquoi j’étais peintre. Tout seul dans ce musée affreux, avec des masques, des poupées Peaux-Rouges, des mannequins poussiéreux. Les Demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là, mais pas du tout à cause des formes : parce que c’était ma première toile d’exorcisme, oui ! » Pablo Picasso (1).
Jeu.
Cette peinture représente la tête d’une poupée de collection en carton pâte.
Quelle vertu s'attache donc à la réduction, que celle-ci soit d'échelle, ou qu'elle affecte les propriétés ?
L’anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009), nous apprend qu’elle résulterait, semble-t-il, d'une sorte de renversement du procès de la connaissance : « pour connaître l'objet réel dans sa totalité, nous avons toujours tendance à opérer depuis ses parties. La résistance qu'il nous oppose est surmontée en la divisant. La réduction d'échelle renverse cette situation : plus petite, la totalité de l'objet apparaît moins redoutable ; du fait d'être quantitativement diminuée, elle nous semble qualitativement simplifiée. Plus exactement, cette transposition quantitative accroît et diversifie notre pouvoir sur un homologue de la chose ; à travers lui, celle-ci peut être saisie, soupesée dans la main, appréhendée d'un seul coup d'œil. La poupée de l'enfant n'est plus un adversaire, un rival ou même un interlocuteur ; en elle et par elle, la personne se change en sujet. A l'inverse de ce qui se passe quand nous cherchons à connaître une chose ou un être en taille réelle, dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties. Et même si c'est là une illusion, la raison du procédé est de créer ou d'entretenir cette illusion, qui gratifie l'intelligence et la sensibilité d'un plaisir qui, sur cette seule base, peut déjà être appelé esthétique. » (2).
Le médecin-psychanalyste Juan-David Nasio (1942-…), nous rappelle que « la petite fille œdipienne fait jouer à la poupée deux rôles différents. Dans le Temps Préœdipien, elle répète avec sa poupée la relation avec sa mère : elle s'identifie à sa poupée et, simultanément, elle s'identifie à sa mère comme la câlinant. » ; et qu’ne fois entrée dans l'œdipe proprement dit, la petite fille change de rôle : « maintenant, elle est la mère ; et sa poupée est l'enfant merveilleux que le père lui a donné. » (3).
Qu'elles soient mascottes, amulettes ou gris-gris, la figuration humaine nous sert le plus souvent de transfert. Ainsi font les enfants du Guatemala, qui possèdent plusieurs petites poupées et confient un souci à chacune d'elles afin d'en être débarrassés.
Mon premier confident, l’ours en peluche de mon enfance, a été à lui tout seul le gardien de tant de peurs et d'inquiétudes qu'il fut certainement et à mon insu mon premier porte-bonheur!
Rappelons que Picasso (1881-1973), découvre l’art primitif en 1906 chez son ami André Derain (1880-1954), où est exposé un masque des Fangs du Gabon, acheté à Maurice de Vlaminck (1876-1958) pour 50 francs. C’est à la même période (1906-1907) que Picasso peint Les Demoiselles d’Avignon (243,9 x 233,7 cm.) – Musée d’art moderne de New-York, une toile dans laquelle le masque africain inspire deux visages de femmes.
Jean-Bernard Pouchous, 2011.
Bibliographie :
-1-Picasso, cité par André Malraux, La tête d’obsidienne, Gallimard, 1974.
-2-Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, éd. Plon, coll. Pocket, 1990.
-3-Nasio J.-D., L’Oedipe, éd. Payot, coll. Désir, 2005.