30-Ange
"Ange", 2004, acrylique sur toile, 80 x 40 cm.
« De mon père je tenais mon assurance, le sérieux que j’apportais à la poursuite de la vie; de ma mère, la joie de vivre et le goût de faire travailler mon imagination. From vater hab ich die Statur Des Lebens ernstes Führen, Vom Mütterchen die Frohnatur Und Lust zum fabulieren. » Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) (1).
Tempérament.
Regardez bien cette peinture intitulée "Ange" et faite le silence, un ange passe. Nous sommes dans la cour de l’immeuble où j’habite au moment où j’écris ces lignes. J’ai accroché à un volet un thermomètre et un chérubin guitariste. Le thermomètre est fixé sur une réclame des années 40 de l’huile Sidéo pour moteur automobile d’un garage de Marseille (ETABLISSEMENT GUTTIN Fils). C’est le genre d’objet publicitaire qui devait vivre sur les murs de l’atelier des garages. Lieu de culte pour les adeptes de l’entretien, de la maintenance (prévention des pannes), de la réparation et du réglage des véhicules automobiles. Le grand héros incontesté en est le "mécano", grand responsable des organes mécaniques constituant l’essentiel d’un véhicule : moteur, boîte de vitesse, embrayage, suspension, direction... Cet homme toujours en salopette les mains dans le cambouis, possède des notions pointues dans les domaines : hydraulique, pneumatique ou encore électrique. Il faut savoir qu’un moteur à explosion est un type de moteur à combustion interne, il est principalement utilisé pour la propulsion des véhicules de transport (avion à hélice, automobile, moto, camion, bateau), ainsi que pour une multitude d’outils mobiles (tronçonneuse, tondeuse à gazon) ainsi que pour des installations fixes (groupe électrogène, pompe).
Le terme moteur à explosion, consacré par l’usage est impropre car il ne rend pas compte de tous les phénomènes se produisant dans ces moteurs, pour lesquels la dénomination à "combustion interne" est nettement plus adéquate. Tous les moteurs à combustion interne utilisent un liquide pour la lubrification des pièces en mouvement, l’huile. L’huile circule, propulsée par une pompe, il suffit donc de faire circuler ce liquide dans les zones les plus chaudes et, surtout, d’en assurer le refroidissement correct. Tous utilisent plus ou moins le refroidissement par huile : carter d’huile bas moteur ventilé, parfois muni d’ailettes, un petit radiateur d’huile. Pour un mécano, quand tout va bien, çà baigne ! (dans l’huile évidemment).
Un peintre de mon acabit peut tout à fait s’identifier au mécano. Un atelier ressemble souvent à un garage, remplacez le pont par le chevalet, la toile par l’auto et vous y êtes, le travail manuel est presque le même malgré qu’il faille moins d’outils pour peindre, mais l’huile, non ! En fait, je ne peins plus à l’huile depuis un voyage aux USA dans la fin des années 1970, où j’ai découvert la peinture Liquitex (tube de peinture acrylique). Depuis un moment je voulais quitter l’huile car malgré l’utilisation de toutes les ruses de séchage connues dans le métier le temps de travail entre les couches, restait interminable. Entre la colle de peau de lapin et les essences, les odeurs étaient aussi prenantes que dans un garage, sans parler de la poussière, etc. Le plus gros problème restait la place nécessaire au stockage des toiles montées sur leurs châssis car la fragilité des surfaces peintes ne permettait pas les démontages – remontages – roulages, fréquents en situation de promotion. J’avais bricolé des essais picturaux avec les peintures vinyliques, flashs et pigments au "caparol", déjà connues dans la décoration peinte, mais la finition restait peinte à l’huile, ce qui ne réglait rien. Tandis qu’avec les peintures acryliques, je tendais une toile avec des "push pins" sur un contreplaqué, un coup de liant et je peignais en continu. Temps de séchage réduit au maximum, solidité garantie, couleurs immuables, que demander de mieux (2). Autant de temps gagné pour la conception, le dessin et l’acte de peindre. J’ai ainsi ramené en France par avion, une quarantaine de peintures (65x50cm.) roulées dans un tube. Aujourd’hui, 30 ans après elles sont toujours impeccables. Plus d’huile, des polymères, les peintre-muralistes mexicains comme Siqueiros (1896-1974), certains Pop-artistes anglo-saxons comme Andy Warhol (1928-1987) ou David Hockney (1937-…) et certains européens comme Jürg Kreienbühl (1932-2007) ou Pierre Alechinsky (1927-…) à cette époque peignaient déjà au vinyl et à l’acryl (3).
Dans cette peinture intitulée "Ange", j’ai peint, accroché au thermomètre, un chérubin, sorte d’ange représenté sous les traits d’un bébé ailé guitariste. C’est une bondieuserie très populaire dans l’univers chrétien. En ce début de XXI e. siècle ce sont des moulages de résine peints, tirés en série et vendus prés des lieux de culte avec toute sorte d’autres imageries. D’après le livre de la Genèse (4), Les chérubins (5) furent postés avec "la lame flamboyante d’une épée" après le péché d’Adam pour interdire à l’homme l’accès "à l’arbre de vie" qui était au milieu du jardin d’Éden. Pour les israélites de l’Antiquité, sur le couvercle de l’Arche d’alliance (6), dans laquelle reposaient les tables de la loi (7), étaient montés deux chérubins en or se faisant face à chaque extrémité du couvercle, la tête inclinée et les ailes déployées vers le haut. Lucifer (ange de lumière) avant de devenir Satan (ange rebelle) n’est autre qu’un chérubin et qui jadis il y a bien longtemps, avait pour mission de protéger les humains, tel fut sa chute (8). Tâche héroïque et inhumaine, surtout s’il faut protéger le simple mortel, avant tout contre lui-même.
En arrière plan de cette peinture intitulée "Ange", nous distinguons des plantes vertes et au loin, une "Fenêtre sur cour". Il faut y voir un clin d’oeil à ce film du même nom, que Hitchcock a réalisé en 1954. Voir sans être vue ? Tout un monde ! Le film met en scène le voyeurisme ou regard scopophilique.
Le message de cette peinture intitulée "Ange" est complexe d’autant qu’il faut que j’en rajoute une couche. A chaque fois que je fais des prises de vue pour documenter mes peintures, je vais dans cette cour avec vue et les voisins matent. Peut-être veulent-ils savoir si ce que je peins ne va pas faire l’objet d’une réprobation publique, pour apologie de la violence ou de la pornographie. (Suspens!)
Parano moi jamais !
La réponse est dans la célèbre charade Alsacienne (à prononcer avec l’accent) :
Mon premier est un serpent,
Mon deuxième se trouve sur les toits,
Mon tout se trouve dans les garages en Alsace.
Comment s'approprier le monde sans se salir les mains?
Solution : python – tuile = Bidon d’huile.
Jean-Bernard Pouchous - 2009.
Bibliographie :
-1- John Stuart Blackie, The Wisdom Of Goethe, éd. Kessinger Publishing Co, 2004.
-2- Hazel Harrison, L’Encyclopédie de la peinture acrylique, éd. Fleurus, 2003.
-3- Jo Crook tom Learner, The impact of Modern paints, Watson Guptill, New York 2000
-4- Jean-Pierre Soula, Livre de la Genèse Décrypte (le) - une Lecture Hérétique de la Genèse a Partir du Texte Hébreu, éd. Oxus, coll. Spiritualités, 2009.
-5- François de Beaulieu, Hervé Ronné, Anges, archanges et chérubins, éd. Ouest France, La Coll., 2007.
-6- Z’ev Ben Shimon Halevi, Arche de vie - Introduction à la Cabale, éd. Relie, coll. Poche, 2009.
-7- Sal Meyer, Les tables de la loi - principe et rites du judaïsme, éd. La Colombe, 1962.
-8- Danielle Chaperon, Jean Cocteau, La chute de l’ange, éd. Du Septentrion, coll. Objet, 1995.