top of page

26-Oiseau mécanique


"Oiseau mécanique", 2005, acrylique sur toile, 80 x 40 cm.

« Jeu de main, jeu de vilain. » Pubilius Syrus (-85 à -43), poète latin (1).


Force tutélaire.

Cette peinture intitulée "Oiseau mécanique", nous montre le modèle articulé pour artiste, d’une main droite en bois ; elle est peinte sur un fond qui représente les rideaux de notre chambre à coucher. La main retient entre ses doigts de tilleul verni un oiseau métallique jaune, orange, rouge, noir et blanc. Il s’agit d’un jouet automate mécanique mu par un moteur ressort, qui quand on l’actionne, provoque sa marche. Dès que l’oiseau avance l’hilarité des petits enfants de moins de sept ans, est garantie. Quand j’étais petit, je bricolais des jouets ; je les démontais et les remontais, jusqu’à leur destruction définitive au grand désespoir de mes parents. Dans ce genre d’objet il se trouve toujours un ressort, sorte d’organe très élastique en spiral, un ruban métallique d’acier trempé enroulé sur une roue. Il est encastré dans le jouet à une extrémité et solidaire à l’autre extrémité d’un axe perpendiculaire au plan d’enroulement. C’est là qu’il y a une molette, c’est le remontoir dans lequel s’enfile à travers la carcasse en métal peint du jouet, la clef amovible. Et c’est çà qui sautait toujours à la figure de l’enfant que j’étais, quand je le desemboîtais de son logement spécifique entre le jeu des engrenages. Le mécanisme moteur est souvent régulé par une pale tournante et entraîne des roues dentées reliées aux mécanismes qui actionnent à leurs tours les deux pattes de l’oiseau.

Mon père, voyant que je m’intéressais au fonctionnement des machines, me racontait toujours que depuis l’invention de la roue et des principaux systèmes mécaniques, les objets renfermant des automatismes existaient, aussi bien en Égypte qu’en chine, en Assyrie ou en Amérique précolombienne… Durant l’Antiquité, des statues automatisées représentant les puissances divines intimidaient les fidèles et renforçaient le pouvoir du culte. Ainsi, la statue de Râ désignait de la main le nouveau Pharaon parmi la file des prétendants. De même, en allumant un feu devant un temple, les portes de ce dernier s’ouvraient d’elles-mêmes. Certains savants grecs de l’École d’Alexandrie ont témoigné de ces créations dans des écrits relatant leurs travaux. Mon père était un excellent conteur mais aussi un crac en mécanique. Comme tout passionné, il imposait son intérêt pour le développement que pris l’automatisme à partir du XVI e. siècle. Ses récits évoquaient d’abord leur rôle d’objet de luxe à la mode dans les noblesses occidentales, puis la conversation s’enflammait souvent alors qu’il racontait le grand siècle des Lumières. L’automate était alors conçu comme une curiosité scientifique, mon père citait l’histoire du célèbre mécanicien Jacques de Vaucanson (1709-1782) (2) qui avait inventé un canard machine censé digérer réellement de la nourriture. Je rêvais, car à la maison nous n’avions que des petits automates jouets ou objets publicitaires. Nous les remontions et les faisions marcher et à quatre pattes je suivais leur itinéraire aléatoire sur le plancher ou les tapis de la maison familiale. Mon père, bavard comme tout savant, ne pouvait résister à m’évoquer l’avenir que ce genre d’objet prendrait dans un avenir proche. Il parlait de robot, d’électronique et de la fameuse "re-programmation" qui deviendrait selon lui "le top du top" dans les années 70 (3). Il avait également d’autres qualités formidables pour un enfant, la plus extraordinaire était sa capacité à sculpter avec un pique feu les matières plastiques. Il chauffait au rouge la pointe de la tige de métal sur un des brûleurs de la gazinière domestique et découpait, assemblait, modelait, recoupait et soudait différents morceaux de plastiques de toutes les couleurs, provenant objets utilitaires bas de gamme et gadgets de bazard. De ce travail, se dégageait une lourde fumée noire, au grand damne de ma mère dont la cuisine se trouvait envahie de suie collante. Parfois son ouvrage prenait feu en provoquant dans toute la maison une odeur insoutenable irrespirable qui nous faisait tous quitter promptement les lieux. Un jour il fit un hippopotame qui remuait les pattes pour nager dans l’eau du bain. La bête aux couleurs vives, balafrée de cautérisations noires, flottait laissant seulement apparaître le dessus de sa tête avec ses gros yeux proéminents. En remontant avec une clef son moteur, puis en bougeant une tirette, l’animal agitait ses pattes. Il devenait même submersible et tel un sous-marin se déplaçait en profondeur, puis remontait à la surface. J’étais euphorique et mon père le plus heureux des ingénieurs. A cette époque là je ne savais pas que nous étions au début des arts plastiques. Hélas, comme tout ce que je touchais alors, ce jouet mécanique "fait maison", comme ces confrères "industriels" ont fini leur carrière en mille morceaux dans la caisse à jouet, détruit par les ciseaux de l’insatiable garnement que j’étais. Lors de l’exécution de cet hippopotame, j’avais remarqué que sa mécanique embarquée possédait aussi un ressort moteur ! J’ai du hérité de la curiosité scientifique et de l’habilité manuelle paternelle car l’âge venant, je me suis mis à chasser le ressort moteur, démontant aussi d’autres objets que mes jouets, comme les montres, le baromètre, la pendules mécaniques, une boîte à musique, le tourne-disque à pavillon et manivelle, etc, évitant quand d’attaquer la calculatrice mécanique, l’appareil télégraphique, le microscope, l’appareil photo à soufflet et la paire de jumelle. Bref, j’épargnais la collection d’objets personnels paternels dont les objets m’inspiraient le plus grand respect et peut être aussi parce qu’ils n’avaient peut-être pas de moteur ressort.

Avec le recul, je prends conscience maintenant, que ce qui est remarquable dans cette affaire c’est qu’un appareil alimenté par ressort moteur est parfaitement autonome et peut fonctionner indéfiniment sans apport faisant appel à la technologie (pile, prise de courant, carburant). En revanche, son plus grand défaut consiste en ce qu’il faut le remonter régulièrement à l’aide d’une clef, ce qui consomme trop d’huile de coude. Tous ses bons souvenirs de ressort moteur sont peut être à l’origine de la bonne idée que j’ai eue d’emmener en 1995, une Camera 16 mm Paillard Bolex en Papouasie pour filmer une cérémonie "Malanggan". A ce moment là il n’y avait pas d’électricité dans ce coin du monde, il fallait trouver un moyen de filmer sans cette source d’énergie. Alors il m’a semblé plus sage d’abandonner la vidéo qui nécessitait de recharger ses batteries à une alimentation électrique domestique et de revenir à la bonne vieille camera à ressort H16 Reflex des années 1950 à 1975 ; celle qui permettait de faire de très bonnes images avec une pellicule 16 mm couleur. C’était la célèbre caméra des reporters de la guerre du Vietnam. Equipé de trois bons objectifs et d’un très solide ressort moteur, elle permis de faire à la manivelle de très bons plans. Tolérance zéro, toute la pellicule fut ramenée en France et développé. A la sortie du laboratoire, tous les rushes furent copier en images vidéo béta SP et utilisés au montage, sans chute et le film pu être diffusé. Ce fut une aventure rocambolesque de plus, plus pataphysique (4) (science du particulier, science de l’exception) que "potachique" (science de l’institution) à la manière de ce héros qui, quoi qu’il puisse lui arriver, trouve toujours le ressort nécessaire pour rebondir, celui là même qui porte un ressort sur le bide, le père UBU (5).

Jean-Bernard Pouchous - 2009.

Bibliographie :

-1- James Schaeffer, They Knew Then: Character - Love, Money - Leadership - and Other Sage Advice - 3000bc - 1500 Ad., éd. Author House, 2009.

-2- Carsten Priebe, Voyage à Travers le Siècle des Lumières - Machines - manufactures et maîtresses - Les aventures du canard de Vaucanson ou la quête de la vie, éd. Books on Demand, 2008.

-3- Chantal Lequay, Une histoire de la robotique, éd. IMHO, 2005.

-4- Collège de pataphysique, Le cercle des pataphysiciens, éd. Mille et une nuit, La petite coll., 2008.

-5- Alfred Jarry, Ubu roi, éd. Gallimard, coll. Folio, 2002.

L'AUTEUR
LIENS UTILES

80 X 40

ICONODULE

CRITIQUE

Par tags
Pas encore de mots-clés.
Nous suivre
  • Facebook Basic Black
  • Twitter Basic Black
bottom of page