Avoir ou Être!
"Blizz’aroïd spécial", 1990, aluminium, fer sur socle en granit noir et rose, 60 x 25 x 15 cm.
« Si tu vois un serpent sur une bicyclette, c’est qu’il a trouvé un moyen de pédaler sans les pieds... » Proverbes ivoiriens.
Bizarre.
En 1990, en tant que gérant et producteur de la société Blizz’art, je remets solennellement sur la scène du Centre culturel Wallonie Bruxelles à Paris le trophée du "Blizz’aroïd spécial 90" Grand prix "la vidéo casse le baroque" à un jeune vidéaste candidat ? Le lauréat fut tiré au sort par l’auteur le plus jeune des postulants. Le prix fut remis sur scène à l’heureuse gagnante, sous les applaudissements du public. Les feux de la rampe s’éteignirent, le brouhaha s’estompa et la vidéo de l’heureuse chanceuse fut projetée sur grand écran.
« 100% des gagnants ont tenté leur chance. » Célèbre slogan publicitaire.
« L’insécurité identitaire et l’action déréglée sont les deux faces des états dépressifs à la fin du XX e. siècle ».
« La dépression est ainsi la mélancolie plus l’égalité, la maladie par excellence de l’homme démocratique. Elle est la contrepartie inexorable de l’homme qui est son propre souverain. Non celui qui a mal agi, mais celui qui ne peut pas agir. La dépression ne se pense pas dans les termes du droit, mais dans ceux de la capacité. »
« La séduction est ce qui ôte au discours son sens et le détourne de sa vérité. (...)Toutes les apparences se conjurent pour combattre le sens, pour déraciner le sens intentionnel ou non et le reverser à un jeu, à une autre règle du jeu, arbitraire celle-ci, à un autre rituel insaisissable, plus aventureux, plus séduisant que la ligne directrice du sens.» Alain Ehrenberg dans "La fatigue d’être Soi. Dépression et société" (1).
"L’Avare" est considérée comme l’archétype de la Comédie de Molière. Dans cette pièce les deux enfants d’Harpagon craignent chacun pour leurs amours respectifs car l’avarice de leur père risque de mettre en péril leurs projets de mariage : « Donner est un mot pour qui il a tant d’aversion, dit de lui La Flèche, le valet de Cléante, qu’il ne dit jamais : je vous donne, mais : je vous prête le bon jour » (2).
Avoir ou Être, il faut choisir !
« L’une des découvertes les plus significatives de Freud permet une approche plus aisée de la compréhension du mode avoir: c’est qu’après avoir traversé, pendant la première enfance, une phase de réceptivité purement passive, suivie d’une phase de réceptivité agressive/exploitative, tous les enfants, avant d’atteindre la maturité, passent par une phase que Freud qualifiait d’anale-érotique », Il découvrit que cette phase continue souvent d’être dominante au cours du développement d’un individu et que, dans ce cas, se manifeste le caractère anal, c’est-à-dire le caractère d’une personne dont presque toute l’énergie vitale est orientée vers l’avoir, l’épargne et l’accumulation de l’argent et des biens matériels, comme sont également orientés ses sentiments, ses gestes, ses paroles, son activité. C’est le caractère des avares et il est d’ordinaire associé à d’autres traits de caractère, comme la manie de l’ordre, l’exactitude, l’entêtement, tous poussés à un degré qui dépasse la moyenne. Un aspect important du concept de Freud est le rapport symbolique qui existe entre l’argent et les Fèces - 1’or et les immondices - dont il cite un grand nombre d’exemples. Son concept du caractère anal, en tant que caractère qui n’a pas encore atteint sa maturité, est en fait une critique aiguë de la société bourgeoise du XIXe siècle, où les qualités du caractère anal constituaient la norme du comportement moral et étaient considérées comme l’expression de la « nature humaine ». L’équation de Freud: argent = fèces, est une critique implicite, quoique involontaire, du fonctionnement de la société bourgeoise et de sa possessivité, et peut être comparée avec l’étude marxiste de l’argent dans les Manuscrits économiques et philosophiques.
Peu importe, dans ce contexte, que Freud ait cru qu’une phase particulière du développement de la libido était primaire et que la formation du caractère était secondaire (alors qu’à mon avis cette dernière est le produit de la constellation interpersonnelle du début de la vie et, surtout, des conditions sociales qui contribuent à sa formation).
Ce qui importe, c’est l’idée freudienne que l’orientation prédominante vers la possession intervient au cours de la période qui précède l’accomplissement de la totale maturité, et qu’elle devient pathologique si elle reste permanente. Pour Freud, autrement dit, la personne exclusivement concernée par l’avoir et la possession est une névrosée, une malade mentale; il s’ensuit qu’une société dont la majorité des membres a un caractère anal est une société malade.» Erich Fromm dans "Avoir ou Être. Un choix dont dépend l’avenir de l’homme" (3).
Un fil d’Ariane permet de comprendre les bouleversements de la vie privée qui nous entourent : l’individu.
Les rôles assignés sont devenus intolérables (surtout pour les femmes, qui n’occupaient pas les meilleures positions), l’individu étouffe dans les cadres qui lui sont imposés. Il lui faut de l’air, des espaces d’inventivité. Il ne veut pas rater son bonheur, être le seul à en décider. Mais est-il possible d’être heureux sans les autres ? Non, assurément. A mesure que l’ "individu-roi" impose sa nouvelle loi, monte la longue plainte du manque d’amour. Il serait si simple que l’amour emporte dans son envol comme on l’imaginait dans la tradition romantique. Hélas le couple est devenu aujourd’hui bien difficile à construire. Même amoureux, l’ "individu-roi" ne peut s’empêcher d’évaluer ce qui lui arrive, de tester son partenaire. De décider de rompre quand il considère que le bonheur n’est pas suffisamment au rendez-vous. La profonde mutation conjugale contemporaine ne signifie toutefois nullement qu’il y ait désengagement amoureux. Derrière la multiplication des ruptures et la fragilité conjugale grandissante, il faut savoir dégager la quête de vérité qui est à l’oeuvre, à l’écoute des sensations révélées par les événements partagés : l’amour est quotidiennement mis à l’épreuve. Ce qui explique que le mariage ne se situe plus au début des trajectoires conjugales, car il faut vérifier la solidité du sentiment avant de s’engager. Les couples commencent donc aujourd’hui sans papiers, dans un tâtonnant face à face où chacun se cherche en tentant vaguement de deviner un futur à courte portée. C’est un peu plus tard que vient l’idée du mariage. Il est désormais un acte gratuit agissant comme un marqueur symbolique, signalant à tous (et à soi-même) que l’on a décidé de changer d’identité, en quittant le face à face incertain sauvegardant la liberté individuelle, pour s’engager dans un projet d’avenir plus ou moins imaginé comme irrévocable. Le poids de l’institution est même utilisé souvent pour tenter de forcer quelque peu l’avenir. C’est cette nouvelle fonction de marqueur symbolique qui explique le relativement fort maintien du mariage.
Le Festival international du film d’amour (ou FIFA) de Mons (Belgique) semble répondre à cette attente. Créé en 1983 par Elio Di Rupo, ce festival, qui a lieu chaque année en février au moment de la Saint-Valentin, propose des films ayant pour thème central l’amour, sans pour autant être des romances à l’eau de rose.
« Chabadabada... »
Tout petit déjà, je découvre le monde, j’apprends à marcher et à parler, j’apprends à me nourrir, à respecter mes frères et à devenir Homme. M’observant ma mère me disait souvent : « tu fais de grands progrès ! ». Quel bonheur pour le jeune garçon que tous ces "progrès" auxquels ma famille portait tant d’attention et qui excitaient leur enthousiasme. Plus tard les mots sont lancés par le professeur de CM2 sur le bulletin trimestriel : "en progrès". Il y a toujours depuis la naissance une certaine idéalisation du progrès qui semble être ce qu’il y aurait de meilleur pour un enfant. Ce progrès est l’alliage d’un apprentissage, d’acquisition de connaissances et de techniques nouvelles : la lecture, l’écriture, le calcul, la musique, le dessin, etc.
"Un homme et une femme" est un film de 1966 de Claude Lelouch (1937-…) (4) et qui a été un grand succès au box-office avec 4.269.209 entrées à sa sortie en salle avec comme premiers rôles par Anouk Aimé (1932-…) et Jean-Louis Trintignant (1930-…) et qui a pour particularité de posséder une chanson mondialement fredonnée de Pierre Barouch (1934-…), portant le même nom.
« Chabadabada... »
Pourtant en grandissant le jeune enfant que j’étais découvre que le progrès est de plus en plus problématique. Comme si le progrès n’était pas évident. Ainsi je peinais dans certains domaines et excellait dans d’autres. Au-delà de cela je me demandais même en étudiant l’histoire de l’humanité si le progrès ne serait pas une notion vide de sens ?
« Mon coeur y pense... »
Au quinzième siècle, avec la Renaissance, avec l’émergence d’une nouvelle manière de vivre et de concevoir sa destiné, débute l’histoire de l’individualisme, l’individu commence à oser dire "je". Le monde social change alors de centre de gravité passant des lois supérieures (le service de Dieu, de l’Etat, de la Famille) à l’individu et le culte de soi. Ainsi, dans les siècles qui vont suivre, l’individu ne cessera socialement de s’affranchir.
« Chabadabada...»
A ce sujet, la Révolution Française est souvent considérée comme le "passage clef" vers la modernité, car liée à l’émancipation de l’individu et donc à l’individualisme. On pourrait définir ce phénomène par la place centrale qu’occupe l’individu dans son propre système de valeurs. Chacun voit le progrès selon ses goûts, ses passions et selon sa culture et son éducation ou "midi devant sa porte".
« Chabadabada...»
En étudiant l’histoire de l’art je me demande toujours si le progrès en matière d’art ne serait pas une notion complètement stérile ?
Jean-Bernard Pouchous - 2007.
Bibliographie :
-1- Alain Ehrenberg, La fatigue d’être Soi. Dépression et société, éd. Calman-Lévy, 1998.
-2- Molière, L’Avarre, éd. Pocket, 2007.
-3- Erich Fromm, Avoir ou Être. Un choix dont dépend l’avenir de l’homme, éd. Robert Laffont, coll. Réponses, 1978.