Vendredi 13.
"Ile", 1993, acrylique sur toile, 97 x 195 cm.
« Si pour percevoir les défauts, vous êtes obligé de vous approcher, permettez-moi de vous prier de rester à distance. » Propos attribués à Delacroix (1798-1863) à l’intention Girodet (1767-1824).
Lune de miel.
Cette peinture intitulée "Ile" représente un îlot perdu dans l’océan pacifique. Les eaux au premier plan ont un écoulement laminaire ce qui laisse supposer que nous sommes dans un lagon fermées par un récif de corail. La partie émergente de l’atoll montre une plage de sable blanc partiellement inondée par une légère houle et surmontée d’une palmerai. A l’orée d’un petit bois de cocotiers, nous distinguons une sorte de hutte passée à la chaux et recouverte de palmes.
Nous sommes en plein soleil, la chaleur caniculaire a fait disparaître le moindre mouvement de vie. Il ne se passe rien, seul quelques reflets font miroiter l’eau créant des brillances ici et des transparences là-bas. C’est très calme, dans le ciel traînent à haute altitude et d’un horizon à l’autre, de lourds et titanesques stratocumulus dans lesquels ont cherche à deviner des apparitions fantastiques pour tuer l’ennui. Si on est ici, le jour à l’ombre, le soir et la nuit à la fraîche, l’on ne peut vivre que l’instant présent car tout peut arriver dans cette immensité. Le ciel peut s’effondrer sur l’océan, entraînant la rafale aveugle, le vent violent, la tornade imprévisible, les pluies torrentielles puis diluviennes, les éclairs aveuglant, le tonnerre assourdissant, la foudre assommante, la tempête inimaginable, le cyclone effrayant... Des entrailles de la terre où des eaux démontées surgissent le tremblement de terre imprévisible, le séisme brutal, l’éruption volcanique, les nuées ardentes, les déferlantes, le raz de marée, le tsunami…
Nous imaginons que Robinson Crusoé (1) soit accompagné non d’un "vendredi 13" (2) chanceux, mais d’une Lune qui deviendrait Terre-mère en enfantant de petits astres qui d’une rotation gravitationnelle autour des géniteurs parviendraient à se détacher à jamais de ce giron attractif pour s’échapper dans l’espace temps et conquérir d’autres îles plus pacifiques. Les anciens alchimistes moins amateurs de Terre-mère comparaient le principe masculin au Soleil mais le principe féminin à la Lune en faisant l’homme et la femme.
En fait, il s’agit surtout des deux principes que porte en lui chaque être humain. La Lune, ce sont les émotions, les sentiments, l’humeur, toujours variables, alternativement positifs et négatifs, croissants et décroissants. On commence à aimer, on aime passionnément, à la folie puis plus du tout et tout recommence. La “lune de miel“ qui suit les noces est propice au voyage. L’amour s’il est celui du "Roi Soleil", ne varie pas, il est là quelque soit les lunaisons, obéissant à la théorie de la "Lune-qui-doit-tourner-autour-du-Soleil-et-non-l’inverse", la Reine Terre-Mère devant par raison enfanter le Prince héritier fait "bonne lune" de toutes les lubies voyantes ou cachées qui tournent autour du monarque. L’amour quand c’est celui des lunes aura toujours une face cachée, non éclairée par le soleil, vague aux yeux de l’âme, vierge et invisible de la terre. Les nuits, les lunes ont d’incessants changements d’apparence discrète, suggestive, parfois délétère, souvent diaphane puis rayonnante, lumineuse à son apogée. Enfin elle s’en retourne faisant la galante et gracieuse révérence avant de se confondre à chaque fois plus mystérieusement avec la lumière du jour.
Jean-Bernard Pouchous - 2004.
Bibliographie :
-1- Daniel Dufoe, Robinson Crusoé, éd. Le livre de poche, coll. Classiques, 2003.
-2- Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, éd. Gallimard, coll. Folio, 1972.