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TARSIUS.


"Tarsier", 2010, acrylique sur toile, 16 x 22 cm.

« Le secret douloureux des dieux et des rois, c'est que les hommes sont libres », explique Jupiter à Egisthe.

Chasse mouche.

La peinture intitulée "Tarsier" représente un minuscule primate (85 et 160 millimètres). Ce n’est pas un singe mais une créature nocturne à part entière, difficile à apercevoir parce qu’il ne bouge jamais de l’arbre qu’il a choisi d’habiter dans les îles du Sud-Est de l'Asie dont les Philippines. Cette bête émet et perçoit les ultrasons, cette aptitude lui permet de communiquer à l'insu de ses prédateurs, mais aussi de ses proies. Tarsius syrichta est un mammifère insectivore, il se nourrit aussi d’oiseaux et de serpents. Le Tarsier des Philippines à la particularité de faire pivoter sa tête à 180°, dispositif indispensable car ses yeux sont trop gros pour tourner dans les orbites. Ainsi sa tête est aussi grosse que son corps et ses gigantesques yeux brillent dans la nuit, ce qui a amené les indigènes de Bornéo à le considérer comme un « hantou » (démon). Cette bizarrerie animale, par son regard exorbité nous pousse à nous enquérir de ce qui manifeste la présence d’un démon ou d’une âme. Si les manifestations s’accordent à leurs essences, puissances et activités… d’une seule espèce sont les apparitions des démons variés, maîtres du monde qui administrent les éléments subliminaires. Noir est le monde sous la canopée primitive.

« Oreste rentre à Argos, sa ville natale envahie par les mouches. Il y rencontre un peuple torturé : chacun est rongé par le repentir de ses crimes, jusqu'aux souverains, Clytemnestre et Egyste, mère et beau-père d’Oreste qui ont assassiné son père Agamemnon à son retour de la guerre de Troie. Electre, sœur d’Oreste réduite en esclavage au palais, tente de soulever une révolte du peuple contre cette éternelle pénitence, mais Jupiter, dieu des mouches et de la mort, l’en empêche… » Début du résumé de la pièce de théâtre écrite en 1943 par Jean-Paul Sartre (1905-1980), "Les Mouches" (1).

Oreste ne connaissait pas le "Tarsier", ce petit mammifère appelé en captivité "Fly hunter", car toujours à l’œuvre pour attraper les mouches. C’est un prédateur d’insecte fort utile à une certaine forme de maintien de notre équilibre écosystémique. Muni d’une longue langue collante qu’il lance comme une fronde sur ses victimes. Ce prédateur a biensûr son rôle à jouer dans l’évolution des espèces, voir même dans l’évolution des espèces en générale. Si l’on sait que cette bête est très difficile à domestiquer pour nous débarrasser des mouches à domicile on imagine rapidement pourquoi notre société anonyme va mettre en branle toute une industrialisation de papier tue mouche ou de bombe insecticide pour pallier à notre incapacité individuelle.

Pourquoi une telle punition ?

A la même époque Albert Camus (1913-1960) publie dans son cycle de l’absurde "Le mythe de Sisyphe", (2) où l’homme comme une mouche gouvernée par la cosmogonie, est puni pour avoir insulté les dieux. Une vie d’insecte prise dans un éternel recommencement, la constante lambda de monsieur tout-le-monde comparée à celle du bousier qui se trimbale partout avec sa boule de merde. Tout comme Sisyphe s'applique à rouler sa pierre, l'homme fait de sa vie son œuvre. Il est tout à son attention. Il s'incarne, se rend présent au monde pour s'inscrire dans une totalité, celle de l'hu­manité à laquelle il appartient. Sisyphe fut considéré comme le fondateur mythique de Corinthe. Il aurait enchaîné la mort Thanatos, ou encore il aurait dénoncé Zeus ce qui engendra la colère des dieux. En conséquence, il fut condamné à rouler éternellement un rocher. Tâche inutile et ré­pétitive qu'il parviendra toutefois à faire sienne, jusqu'à en être "heureux".

« Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son ro­cher est sa chose. De même, l'homme ab­surde, quand il contemple son tourment, fait taire toutes les idoles. Dans l'univers soudain rendu à son silence, les mille pe­tites voix émerveillées de la terre s'élèvent. Appels inconscients et secrets, invitations de tous les visages, ils sont l'envers néces­saire et le prix de la victoire. Il n'y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaître la nuit. L'homme absurde dit oui et son ef­fort n'aura plus de cesse. S'il y a un destin personnel, il n'y a point de destinée su­périeure ou, du moins, il n'en est qu'une dont il juge qu'elle est fatale et méprisable. Pour le reste, il se sait le maître de ses jours. A cet instant subtil où l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort. »

L'homme embarrassé et littéralement prostré par la peur de mourir est souvent "mort" avant même d'avoir vécu.

Une naïveté pleine d’espoir dans la croyance à un salut salvateur s’empare alors de lui et son être s’abandonne facilement à un imaginaire créationniste. Déjà La Bruyère (1645-1696) en son temps cochait par écrit : « Une longue maladie semble être pla­cée entre la vie et la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui restent. » (3).

Pourtant le détachement à l'égard de l'infortune permet à l'homme d'entreprendre, de de­venir créatif. Mais beaucoup ne s’adapte qu’à la peur et évoluent vers une pratique de la dénégation totale qui les pousse au pire détournement d’objet. Révisionnistes malgré eux, ils trafiquent le langage spécialisé spécifique pour inverser le fil et la trame et retisser notre histoire. Ils réinterprètent ainsi les contenus scientifiques, assujettissant toute culture à un certain conformisme, embrouillant la pensée qui anime le droit en conjuguant tout à la troisième personne du singulier avec ce « on » si impersonnel. Mais "on" est un "con" comme peu le save… Ces prétentieux nuisent avant tout au langage proprement dit, créant ainsi de grandes violences très, très laides.

Par exemple, une erreur fréquente est de croire qu'utiliser des termes spécifiquement philosophiques donne par là-même un caractère philosophique à ce que l'on écrit. Rien de plus faux. Raymond Queneau caricature de façon plaisante ce tra­vers dans ses Exercices de style (4) : « cette matière sans enteléchie véritable se lance parfois dans l'impératif catégorique de son élan vital et récriminatoire contre l'irréalité néoberke-leyienne d'un mécanisme corporel inalourdi de conscience ».

Tous les langages comme le langage scientifique peuvent se prêter aux mêmes déformations, inversions de sens, néologismes, acronymes et mot-valises et de la façon la plus sérieuse qui soit ou la plus maniérée, selon, mais toujours la plus répétitive, devenant une dogmatique des plus absurde.

Pourtant pour certain illuminé l'histoire n’est qu'une obscure fiction sans queue ni tête ou plutôt l’ouvrage romanesque de castras décérébrés propre à l’autodafé. L'histoire éla­bore son objet grâce à des méthodes comparables à celles qui valent dans les sciences de la nature pourtant une vérification expérimentale de la validité des résultats est à strictement parler, inconcevable. Elle n'est pas qu'une œuvre de pure fiction malgré que comme le romancier, l'historien dispose vis-à-vis de son objet d'une grande liberté: il choisit les questions qu'il pose au passé; et parce que ce passé est le passé humain, l'historien nous permet de comprendre d'autres temps, d'autres cultures, d'autres hommes dans leur singula­rité propre. De là, le caractère très particulier de la connaissance histo­rique qui offre « en prime » au lecteur le prestige et le charme de la petite histoire.

Le philosophe des sciences Gaston Bachelard qui se méfiait des dérives possible de l’utilisation des mots, écrit dans Le formation de l’esprit scientifique, (5), chapitre 1 : : « La science dans son besoin d'achèvement comme dans son prin­cipe s'oppose absolument à l'opinion... » d’où les incompréhensions que peuvent susciter toute vulgarisation en direction d’un public non averti et c’est ce malentendu médiatique typique qu’ exploitable avec avidité le premier VRP de l’arbitraire venu, l’expert en abus de confiance ou le leader en trafic d’influence, le maître chanteur de l’illusionnisme, le recenseur de problème, ou le bonimenteur idéologique, l’apôtre inquisiteur, le spéculateur d’indulgence, ou le moraliste pyromane, le pourchasseur de blasphème, l’empêcheur de paganiser en paix, ou le marchand de confiance, le dédoubleur de personnalité, le licencier en bonnes paroles, ou le rédempteur exterminateur …

Nul n’est censé ignorer la loi (de l’évolution).

Après la « der des der », en 1919, la population occidentale totale se retrouve dans la terreur industrielle mondiale. Personne n’avait prévu la fulgurance de cette évolution moderne. Dans la dizaine d’années qui séparent le crash économique occidental de 1929 et la Drôle de guerre de 1939, Einstein et Infeld, qui avait bien senti l’immense abîme d’incompréhension qui sépare les croyances et superstitions des masses populaires et les connaissances scientifiques et techniques des élites de leur temps, font un grand travail pédagogique notamment dans L'Evolution des Idées en Physique (1938) : « La science n'est pas une collection de lois, un catalogue de faits reliés entre eux. Elle est une création de l'esprit humain au moyen d'idées et de concepts largement inventés. Les théories physiques essaient de for­mer une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impres­sions sensibles. Ainsi nos constructions mentales se justifient seulement si nos théories forment un tel lien » - (p. 274) (6).

Mais comme toujours l’absence total de débat contradictoire met en conflit ceux qui y croyaient et ceux qui n’y croyaient pas. Depuis, en occident, les mouvements créationnistes ne cessent de remettre en cause notre histoire scientifique, en se focalisant par dogmatisme religieux, philosophique et politique sur l’enseignement de la théorie darwinienne de l’évolution. Les récentes prises de position populiste anti-évolutionnistes de plusieurs ministres européens de l’éducation ont poussé le Conseil de l’Europe à traiter de cette question d’actualité politique, afin d’appeler les gouvernements à s’opposer fermement à toutes les tentatives de présentation du créationnisme comme discipline scientifique (7).

Il y a certaines créatures qui sont prêtes à gober n’importe quoi, comme des mouches par exemple et à se faire rouler dans leur propre caca, démontrant par là qu’ils n’ont pas évolués dans le même sens que les autres. Ils ne pourront jamais dire comme l’anthropologue américain Ralph Linton (1893-1953) : « Sans la culture qui con­serve les gains passés et façonne chaque généra­tion, selon ses modèles, l'homo sapiens ne serait qu'un singe anthropoïde terrestre. »

Nous voilà revenu au pire temps du fractionnement bipolaire des esprits, de l’orthodoxie schizophrénique et de l’arianisme du culte de l’empereur père des peuples où une ligne de démarcation séparait d'un côté ce qui est exact, conforme, mais qui n'est pas forcément l'idée majoritaire, et de l'autre côté, ce qui diverge de l'exactitude obligatoire.

Vivre ou mourir, il faut choisir ! Toute­fois, préférer vivre et considérer la valeur de la vie, c'est au préalable, avant même d'avoir donné, selon le philosophe Clément Rosset (8), son approbation au réel, avoir réfléchi sur l'existence : « La philosophie tragique considère que le privilège de l'approbation tient à son caractère incompréhen­sible et injustifiable. » «L'histoire de la philosophie occidentale s'ouvre par un constat de deuil : la disparition des notions de hasard, de désordre, de chaos ... »

Le poète persan Saadi de son vrai nom Mushrif-ud-Din Abdullah - vers 1184-1283 - suggère : « Ne pleure pas sur les morts, qui ne sont plus que des cages, dont les oiseaux sont partis. » (9)

Jean-Bernard Pouchous.

Bibliographie :

-1-Jean-Paul Sartre, Les Mouches (1943), éd. Bréal, Coll.connaissances, 2000.

-2-Camus, Le mythe de Sisyphe, éd. Gallimard, coll. Folio Essais, 1985.

-3-La Bruyère, Les Caractères, éd. LGF Livre de Poche, coll. Classiques, 1976.

-4-Raymond Queneau, Exercices de style, éd. gallimard, Coll. Folio, 1982.

-5-Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, éd. European Schoolbooks, Coll. Bibliothèque des textes philosophiques, 2000.

-6-Albert Einstein, Léopold Infeld, Maurice Solovine, L'évolution des idées en physique : Des premiers concepts aux théories de la relativité et des quanta, éd. : Flammarion, Coll. Champ sciences, 2009.

-7-Olivier Brossau, Cyrille baudoin, Les Créationnismes, une menace pour la société française?, Coll. Arguments et mouvements, éd. Syllepse, 2008.

-8-Clément Rosset, La logique du pire, éd. PUF, coll. Quadrige, 1993.

-9-Saadi, traduction Franz Toussaint, Le jardin des fruits, éd. Mercure de France, 1913.

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