Prémonition ?
"Enfant Hydrocéphale", 1975, bois, plastique, métal et tissus, 200 x 80 x 65 cm.
« L'inconscient dans la vie psychique est la partie infantile de cette vie... » Le rêve et son interprétation, Sigmud Freud
Là où je pense, je ne suis pas !
Ces deux photos représentent une installation/sculpture intitulée "Enfant Hydro Céphale" qui pourrait bien être l’illustration de la phrase de Lacan : « Là où je pense, je ne suis pas ». Sculpture faite de façon automatique d’assemblage d’objets divers. Inspiré de la "Sculpture fétiche" de 1973, ce grand fétiche représente un personnage grandeur nature, fait d’un mannequin en plastique représentant le buste et la tête d’un enfant de 6/8 ans peint en blanc. Sa tête est surplombée d’excroissances faites du collage de différents objets en plastique également peint en blanc. Ces protubérances cérébrales sont reliées par des tuyaux en plastique transparent et en caoutchouc à certaines parties de son corps (cœur, intestin, etc). Le bas-ventre est habillé de sac de poubelle en plastique bleu. Le personnage qui n’a pas de jambes, est maintenu en suspension dans une cage en grillage vert par des règles plantées dans son corps à hauteur de sa taille, à travers le grillage. Un collier fait de baguettes de bois, chacune terminée par un pansement de sparadrap rose, décore la poitrine et les épaules. Sous les sacs en plastique qui habillent la partie inférieure de son corps pendent d’autres excroissances faites d’un collage de différents objets en plastique comme celles sortant du crâne, mais peintes en couleur rose/orangé/chair. L’ensemble est posé sur un socle noir sur lequel est écrit "Enfant Hydro Céphale"
J’ai gardé longtemps cet objet dans un couloir desservant les greniers attenants à l’atelier que je venais alors d’acquérir dans le quartier du faubourg St. Antoine. Plusieurs personnes de l’immeuble visitant parfais les greniers avaient eut très peur et me le faisaient sentir en me regardant d’un drôle d’œil. Plusieurs années plus tard je profitais de mon déménagement vers un autre atelier pour détruire cette curieuse création.
En ce temps là, la fin de mes études qui étaient alors essentiellement instituées sur une vision abstraite de l’art, une approche technico-manuelle du métier d’artiste et marquées par l’influence de Walter Benjamin, baignait dans une atmosphère post-soixantehuitarde faite d’arts primitifs, de surréalisme, de psychanalyse et du marxisme.
J’ai retrouvé l’empreinte intellectuelle de ces années dans les travaux critiques de Hal Poster (1) (2). Pour Poster, les objets primitifs valent pour leur aura (marque d'une action humaine chez Benjamin) Le signe psychique d'un objet perdu et la relique sociale d'un mode de travail artisanal. Poster s'appuie donc sur les théories de Freud, Marx, Lacan et Benjamin qu'il considère comme actifs pour le surréalisme. Dans le cas des objets industriels passés de mode, ils sont modifiés par l'usage surréaliste qui transforme les ruines de la société bourgeoise en objets ludiques, il s'agit d'un retournement du fétichisme marchand marxien ; la relation d'objets redevient relation entre les êtres humains. Le surréalisme défétichise les notions de sexe, d'identité et de différence. L'aura benjaminienne résiduelle a le pouvoir de neutraliser le caractère fétiche de la marchandise puisque l'objet garde en lui la trace d'une action humaine - même opprimée - comme l'ambre conserve des vestiges biologiques : Il nous regarde à travers la distance de cette aliénation, mais parce qu'il fait encore partie de nous et nous de lui, il peut nous regarder dans les yeux. Le passage de l'art dans le domaine anthropologique est lié à cette manipulation surréaliste, à ce retournement : « Ces derniers temps le surréalisme a fait un retour en force, le sujet d'un grand nombre d'expositions, symposiums, livres et articles. De peur que je n'ajoute simplement une autre ligne à la liste, je veux commencer mon essai par une réflexion sur la répression passée et le rétablissement présent de ce mouvement. [...] Le surréalisme est aussi le point nodal des trois discours fondamentaux de la modernité - la psychanalyse, le Marxisme culturel et l'ethnologie - chacun ayant influencé le surréalisme tout comme le surréalisme les a, à son tour, fait évoluer. »
Dans "Design & crime" (3), Foster, fort d’une insatiable recherche d'alternative à l’état actuelle de l’art, fait un compte-rendu polémique des rapports incestueux qu'entretiennent la culture et le capitalisme contemporains, cet ouvrage s'intéresse plus particulièrement aux évolutions récentes du statut culturel du design et de l'architecture, ainsi que de l'art et de la critique, en Occident. Avec l'avènement de l'économie post-fordiste, de ses produits ciblés et de ses marchés de niche, nous vivons dans un circuit sans fin de production et de consommation. Dans ce nouvel ordre des choses, l'étalage ou l'exposition (display) joue un rôle essentiel, ainsi que le design et l'architecture. Certaines des idées de la culture critique ont en revanche perdu de leur force et de leur substance. A tel point qu'on peut se demander si le "sujet construit" du postmodernisme n'est pas devenu le "sujet design" du consumérisme. Et si le champ étendu de l'art de l'après-guerre ne s'est pas transformé en espace administré du design contemporain.
Jean-Bernard Pouchous - 2008.
Bibliographie :
-1- Hal Foster, Prosthetic Gods, Cambridge, éd. MIT Press, 2006.
-2- Hal Foster, Compulsive Beauty, Cambridge, éd. MIT Press, 1993.
-3- Hal Foster, Design & crime, éd. Les Prairies Ordinaires, coll. Penser/croiser, 2008.