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LAURENT MOURGUET (1769-1844) - Guignol

XVIII e. siècle (1769-1791)

Qu'est-ce que le travail ?

Evidemment Marx a étudié cette question : « Le travail est une activité spécifiquement humaine, pourtant nous sommes tentés de penser que l'animal, lui aussi, travaille. » Qu'est-ce donc qui distingue essentiellement le travail humain du travail animal pour le philosophe du marxisme : « La différence qu'il y aura toujours entre le travail de l'abeille la plus habile et le travail de l'architecte le plus maladroit, c'est que l'architecte porte d'abord sa maison dans sa tête » ; cela revient à dire que l'homme n'agit pas poussé par l'instinct mais qu'il se représente son action comme moyen d'atteindre un but préalablement fixé et par suite il lui est possible de se penser comme distinct de ce qu'il fait. Le travail de l'abeille est une manifestation de sa nature biologique, il n'y a donc pas de dissociation entre l'abeille et le rayon de miel, par contre le travail de l'architecte renvoie à un plan préalable, lui-même lié aux possibilités de la technique, aux goûts et aux valeurs d'une société particulière, bref à une histoire, non à une nature... »

Tout dépend peut-être de nos connaissances : Aristote présente le travail comme une activité servile et provisoire « Si chaque instrument pouvait sur un ordre reçu ou par une vue anticipée accomplir son ouvrage... si les navettes tissaient toutes seules... les chefs de famille n'auraient pas besoin d'esclaves » ; Descartes montre que par la science et ses applications techniques l'homme se rend « comme maître et possesseur de la nature » et Locke propose que : « toutes les fois qu'un homme fait sortir un objet de l'état où la nature l'a mis et laissé, il y mêle son travail, il y joint quelque chose qui lui appar­tient et de ce fait, il se l'approprie. Cet objet se voit adjoindre par ce tra­vail quelque chose qui exclut le droit commun des autres hommes.»

Pour Locke, ce que j'ai réalisé par mon travail m'appartient, je puis en faire l'usage qui me plaît et je suis prêt à employer la force pour écarter, ceux qui vou­draient s'en emparer : c'est que le travail nous paraît être le fondement légitime de la propriété. Locke justifie cette thèse dans le deuxième Essai sur le gouvernement civil... Par le travail l'homme imprime sa marque sur ce qui n'était auparavant que matériau brut, il se reconnaît en somme dans l'objet qu'il a réalisé et c'est pourquoi toute atteinte à sa propriété peut lui apparaître comme une atteinte à sa dignité.

"Guignol", 2010, acrylique sur toile, 35 x 22 cm.

« On avait l'habitude de penser que le rationnel était le certain, ce qui est déterministe. On voulait privilégier l'être par rapport au devenir, tandis que pour moi, c'est le devenir et non pas l'être qui est essentiel du point de vue ontologique. » Ilya Prigogine.


C’est nous les canuts, nous allons tout nus.

La peinture intitulée "Guignol", a été peinte d’après une reproduction photographique de la célèbre marionnette lyonnaise de 1808 "Guignol".

Laurent Mourguet (1769-1844) (1), marionnettiste français, est le créateur de "Guignol", une marionnette à gaine en bois peint. Né dans une famille d'ouvriers canuts Laurent Mourguet exerce plusieurs métiers (forain, marchand...) avant de devenir arracheur de dents. Comme il est de coutume, il attire alors ses clients par un spectacle de marionnettes inspiré du théâtre italien (Arlequin, Polichinelle et les autres personnages de la commedia dell’arte. C’est peut-être de là que vient l’expression : « Mentir comme un arracheur de dent ! » En 1804, il abandonne la tenaille pour se consacrer aux marionnettes, assisté du père Thomas, comédien qui aime un peu trop la bouteille. C'est à cette période qu'il invente son premier personnage, s'inspirant des traits du père Thomas : ce sera Gnaforn, cordonnier lyonnais (regrolleur), dont le nez rouge boursouflé témoigne de son amour un peu trop prononcé pour le beaujolais. En 1808, il crée Guignol, qu'il habille comme les ouvriers canuts en le coiffant d’un catogan tressé (il empêchait les cheveux de se prendre dans les fils du métier à tisser). Guignol est contestataire, impertinent, gouailleur… un comportement si ressemblant à celui des canuts. Un peu plus tard, Mourguet ajoute une femme (sa "fenotte") à Guignol : Madelon. Proche des préoccupations des lyonnais de son temps, le talent de Mourguet rendra rapidement Guignol populaire. En 1820, il monte une troupe et se fait accompagner de ses enfants pour donner des représentations.

« Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant ! »

Au lendemain de la crise de 1826-1827, une quarantaine de chefs d'ateliers canuts fondent à Lyon, la "Société du Devoir Mutuel" qui, entre autres objectifs, se propose « d'acheter collectivement les biens de première nécessité pour le ménage ». Des "Trois Glorieuses prolétariennes" de novembre 1831 à la semaine sanglante d'avril 1834, les deux insurrections des canuts de Lyon sont restées dans l'histoire comme les premières luttes ouvrières. Le "saint-simonisme" (3), le "fouriérisme" (4) et le "blanquisme" (5) se forment dans les cénacles et les clubs de Paris et le "syndicalisme" plante son drapeau noir sur la colline de la Croix-Rousse. Via "L'Écho de la fabrique", premier journal ouvrier, les canuts vont s'informer, débattre, et tenter d'adapter le régime de "la fabrique lyonnaise" à l'évolution industrielle en cours, de manière à préserver leur autonomie et leur liberté. En 1835, Michel-Marie Derrion (1803-1850) aidé de Joseph Reynier (1811-1890), chef d’atelier, saint-simonien et fouriériste, ouvre la première "Coopérative française de consommation", "Le Commerce Véridique et Social", au n° 95 de la montée de la Grande-Côte dans le quartier de la Croix-Rousse. En 1839, alors qu'il est âgé de 70 ans, Laurent Mourguet crée, toujours avec certains de ses enfants, le premier café-théâtre Guignol permanent. Lorsqu’il prend sa retraite en 1840, deux de ses dix enfants reprennent son théâtre de Guignol. Ce n'est que bien plus tard que sa marionnette deviendra le héros actuel de spectacles pour enfants.

Jean-Bernard Pouchous - 2010.

Bibliographie :

-1- Paul Fournel, Guignol : les Mourguet, éd. Seuil, coll. Livre illustré, 1995.

-2- Ludovic Frobert, Les canuts, ou la démocratie turbulente : Lyon 1831-1834, éd. taillandier, coll. Histoire, 2009.

-3- Sébastien Charlety, Histoire du Saint-Simonisme, éd. Denoël, coll. Bib Médiations, 1981.

-4- Jacques Debû-Bridel, L'Actualité de Fourier : De l'utopie au fouriérisme appliqué, éd. France-Empire, 1978.

-5- Louis Auguste Blanqui, Instructions pour une prise d'armes, éd. Cent Pages, coll. Cosaques, 2009.

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