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22-PATATE


"Patate", 2006, acrylique sur toile-, 80 x 40 cm.

« Tremate, tremate, le streghe son tomate ! - Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour ! » Chant de manifestation féministe, Italie, 1970 (1).


Tremate.

Le jour où j’ai décidé de charger cette œuvre intitulée "Patate", en signification, un plan "patate douce" était en préparation en cuisine. Finalement j’ai choisi de transmuter le tubercule en nourriture spirituelle et j’ai représenté cette patate tropicale au premier plan de cette peinture. Rassurez-vous, elle a quand même fini à la casserole et parut d’autant meilleure qu’elle se fit désirée. C’est très bon !

Sa saveur sucrée et sa texture farineuse rappellent celle de la châtaigne. Au-dessus de la patate pour composer une sorte de tête, j’ai glissé des Cornes de gazelles ou d’antilopes (peut-être des cornes de Nyala à moins que ce ne soit celles d’un springbok, emblème de l’Afrique du sud ?). La poupée de chiffon aux cheveux rouge hirsute, en arrière plan, semble tenir cette tête fictive de monstre patate par les cornes. Il s’agit d’une chamane, sage, thérapeute, guérisseuse et voyante, elle est l’initié et le dépositaire de la culture, des croyances du peuple. La magicienne rouge possède comme certains artistes occidentaux des dons de perception extra sensorielle, des pouvoirs psychiques extraordinaires (télépathie, prescience, vision à de grandes distances, divination…), également psychopompe, elle relie le monde des morts, l’au-delà, à celui des vivants par une série de transformations personnelles et autres métamorphoses.

Dans cette peinture, la chamane intervient comme l’intercesseur entre l’homme et les esprits de la nature. « Elle prend le taureau par les cornes », comme on dit vulgairement. Elle maîtrise la vilaine patate cornue sans yeux, nez, bouche et oreilles.

Qui est cette patate ? Mystère ?

Le fond de la peinture est un simple carton à dessin de format demi-raisin. Il renferme en général mes croquis et esquisses d’études préparatoires et autres informations et notes éphémères, intimes et secrètes.

Essai d’explication des intentions de l’artiste en tant qu’homme pré-voyant : Si l’homme vécut davantage en symbiose avec le monde animal durant des millénaires, la femme elle, vécut davantage en symbiose avec le monde végétal. La connaissance qu’elle pouvait avoir des plantes et de leurs propriétés, et le savoir empirique qu’elle pouvait en retirer, furent l’arcane majeur d’une tradition qui se transmettra jusqu’à nos jours. De la fécondité de la femme dépend la continuation de l’espèce, la femme est obstétricienne depuis que le monde est monde. La "sage-femme", la "guérisseuse", celle qui donne la vie et qui connaît les secrets de la vie et de la mort ainsi que l’effet des plantes sur le bien-être physique, la santé, est à l’origine de ce personnage qu’est "la sorcière". De fait, durant les deux siècles que dureront les persécutions, c’est souvent le terme d’ "herboriste" (2) qui est utilisé dans les procès-verbaux de l’Inquisition pour la désigner.

Les cultes de ces antiques "déesses-mères" (3), légués par la préhistoire se retrouvent en Grèce à Éleusis (4). Il subsiste l’originelle proximité et l’empathie avec la Nature dans le culte agraire qui est rendu aux deux déesses Déméter et Perséphone sur lequel vient se greffer l’élément orphique, et son contraire le culte dionysiaque, plus archaïque encore, où le sacrifice du dieu, androgyne à l’origine, est rituellement et cycliquement perpétré, et symboliquement dévoré à nouveau par les Ménades, marquant la régression, en somme, du "cuit" au "cru" (5). Autant de caractéristiques qui survivront, diluées, amalgamées dans le "culte de Diane" de l’antiquité tardive et durant tout le Moyen Âge où viendront se greffer de nouveaux éléments provenant du folklore local des divers pays d’Europe (6).

Vénérez la chasseresse "Madame Nyala Patate", la sorcière cornue au cheveu vermillon qui peu vous dévorer tout cuit après vous avoir fait mijoter dans son chaudron magique ou tout cru comme un cornichon, selon! Eh, çà te coupe la chique, non!

Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens interprétatif que ces choses ont pour eux. Ce sens est dérivé ou provient des interactions que chacun a avec autrui. C’est dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié. La sorcellerie désigne tout ce qui est considéré comme surnaturel sans appartenir à la religion officielle ou tout ce qui est relatif au différent dans ces mêmes religions. Il apparaît que dans les mythologies des premières sociétés humaines, la société matriarcale, la femme avait un rôle important.

La religion ancienne devenant le diable de la nouvelle, le christianisme associa souvent les femmes à des rôles maléfiques telles que les "Parques" de la mythologie gréco-romaine ou encore Ève dans la "Torah" et "l’ancien testament". Ève fut tentée par "Na’hash" le serpent, qui la convainc de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ce que le Dieu des juifs avait interdit formellement. Ceci explique partiellement le rôle prépondérant des sorcières à celui des sorciers dans les mythes populaires européens (7).

Nez crochu, volant pendant la pleine lune dans les airs à califourchon sur son manche à balai, ainsi est représentée la sorcière dans l’iconographie populaire occidentale. Antithèse de la fée, elle a les mêmes fonctions que le sorcier, tant en anthropologie que dans les contes et légendes.

« Puisqu’on nous (les femmes) bannit du pays de la raison et du savoir, et qu’on ne nous laisse que l’empire de l’imagination, au moins faudrait-il rêver noblement. » Ecrit en 1711 Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, par son mariage madame de Lambert, marquise de Saint-Bris, généralement appelée la marquise de Lambert (1647/1733).

Les massacres de sorciers et sorcières perpétrés par les églises chrétiennes cessèrent au milieu du XVII e. siècle, la sorcière devint une vieille bonne femme mentalement instable. Puis l’idée que l’on se faisait de la sorcellerie changea (chapeau, chat, balai, etc.), et la sorcière se fit un palace au sein de la littérature enfantine. Mais, même ainsi vouée au divertissement, elle continua de véhiculer l’idée selon laquelle la femme était prédisposée à la folie et aux sottes chimères. Elle représentait toujours la femme qui portait le mal en elle et qui, si elle s’écartait du droit chemin, devenait une menace.

Comme Jacob Grimm (1785/1863) et Wilhem Grimm (1786/1860), dits "les frères Grimm" (8), grands collecteurs de contes, nous le rappellent « les femmes puissantes ambitieuses sont effrayantes.» Au XVII e. siècle, les auteurs de contes de fées tentèrent de limiter la terreur provoquée par les sorcières, tout simplement en les ignorant. Mais l’histoire montrera qu’il ne suffit pas de vouloir les écarter.

« Miroir, miroir en bois d’ébène, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle. Et, invariablement, le miroir répondait: En cherchant à la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas plus belle que toi. » Grimm, extrait de "Blanche-Neige" (Schneewittchen).

Jean-Bernard Pouchous - 2009.

Bibliographie :

-1- Éliane Gubin, Catherine Jacques, Florence Rochefort, Brigitte Studer, Françoise Thébaud, Michèle Zancarini-Fournel, Siècle des féminismes, éd. de l'atelier, 2004.

-2- Collectif, Encyclopédie des plantes médicinales, éd. Larousse, coll. Médecine, 2007.

-3- E. O. James, Le Culte de la déesse-mère, éd. Le Mail, 1989.

-4- Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses - t.1 - de l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis, éd. Payot, coll. Bibliothèque historique, 1989.

-5- Simon Byl, Les nuées d’Aristophane : Une initiation à Éleusis en 423 avant notre ère, éd. L’Harmattan, 2007.

-6- Morgane Camiret, L’héritage des Atlantes : Le culte de la déesse-mère, éd. Dangles, coll. Horizons ésotériques, 2004.

-7- Bertini Marie-Joseph, Ni d’Eve Ni d’Adam - Defaire la différence des Sexes, éd. Max Milo, 2009.

-8- Jacob Grimm, Wilhem Grimm, Contes, éd. Gallimard, coll. Folio, 1976.

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