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L’Origine du monde.


"Retable Annecy", 2003, acrylique sur toile, 4 x (80 x 40 cm.) + (80 x 80 cm.)

« L’amour est aveugle. » Platon.


Souvenirs.

Conçu comme un retable ce diptyque intitulé "Retable Annecy", se compose de 2 volets verticaux de 80 x 40 cm., il représente le lac d’Annecy, un soir d’orage, l’été.

Attention, cette œuvre en cache une autre.

En effet si quelqu’un ouvre ces deux panneaux, comme on le ferait d’un retable. Il découvre une peinture de 80 x 80 cm. et au verso des 2 volets verticaux que nous venons d’ouvrir, sont installés deux autres panneaux de 80 x 40 cm., qui se positionnent à droite et à gauche de l’œuvre centrale et constituent donc un triptyque de 80 x 160 cm. Ce triptyque (ici fermé) représente trois scènes érotiques hétérosexuelles, avec les mêmes personnages. Nous sommes dans un décor d’un village d’une île très touristique du nord des Cyclades. A la fraîcheur d’une soirée d’été, les toits terrasses passés à la chaux de Mykonos donnent sur la mer Egée et le ciel azur. Ce mystère est inspiré de l’oeuvre "L’Origine du monde" du peintre Gustave Courbet (1819-1877) (1). En 1866, Khalil Mardam Bey (1895-1959), un diplomate turc, est présenté par Charles Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) à Courbet. Il commande une toile à ce dernier pour sa collection personnelle de tableaux érotiques. Celle-ci comptait entre autres "Le Bain turc" d’Ingres et "Le Sommeil", un autre tableau de Courbet connu aussi sous le nom "Les Dormeuses". Khalil-Bey fut ruiné par ses dettes de jeu et le tableau connut plusieurs autres propriétaires jusqu’à ce qu’il soit acquis par Jacques Lacan. Le psychanalyste demanda au peintre André Masson (1896-1987) (2), son beau-frère, de construire un cadre à double fond et de peindre une autre œuvre par-dessus.

Celui-ci réalisa une version surréaliste de "L’Origine du monde", moins crue, beaucoup plus suggérée. Quand l’auteur de la fameuse phrase: «L’inconscient est structuré comme un langage.» (3), mourut en 1981, le ministère de l’économie et des finances accepta que les droits de succession de la famille soit réglée par dation et l’œuvre fut exposée au musée d’Orsay en 1995.

« 1969. Lacan à Vincennes. L’événement était d’importance. D’autant qu’il se reproduirait à un rythme régulier, précisaient les affiches annonciatrices. Evénement d’importance, on s’en doute, étant donné le lieu et celui qui y intervenait. Première séance prévue le 3 décembre. Bien avant l’heure, l’amphithéâtre se rempli. Plusieurs centaines de personnes se pressent comme pour une assemblée générale. El lorsque Lacan paraît, prend place sur l’estrade, l’air est déjà pesant, alourdi de fumées, de chaleur, de corps tassés, d’excitation contenue, de voix emmêlées. Silence, il parle. Silence éphémère. Immédiatement, Vincennes s’éveille et rompt le discours commencé, le déplace, de désoriente... La séance devint alors “mémorable”, unique, car Lacan ne revint plus...» (Le Magazine littéraire, Spécial Lacan, n°121, février 1977)

Souvent je pense à cette image du "nœud borroméen", qui illustre bien l’intrication du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire au sens lacanien. C’est à l’Université Paris 8 de Vincennes, aujourd’hui devenue l’Université Paris 8 de Saint-Denis, où, dans les années 1970, je m’étais inscrit pour suivre les UV. d’histoire de l’art que j’ai approché ce qu’était un cours magistral universitaire. Il faut dire que par rapport aux profs (artistes ?) de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, c’était un autre monde.

Centre universitaire expérimental, "la fac. de Vincennes" avait métamorphosé le rapport traditionnel entre professeurs et étudiants. Une aventure de la pensée critique comme dise certain aujourd’hui. Profs stars ou pas, les cours étaient ouverts à tous et c’était plein à craquer. L’histoire de l’art et l’art tout court qui court encore d’ailleurs était observé à travers une optique intellectuelle, comme par exemple à travers la pensée de Michel Foucault (1926-1984) (4) spécialiste d’histoire des systèmes de pensée, du philosophe, sociologue marxiste américain Herbert Marcuse (1898-1979) (5), du théoricien de l’art, critique, commissaire d’exposition franco-britannique Frank Popper (1918-…) (6), du linguiste et philosophe américain Noam Chomsky (1928-…) (7), du médecin, chirurgien, biologiste et philosophe du comportement animal et humain Henri Laborit (1914-1995) (8), du polytechnicien, logicien, ethnométhodologue et anthropologue français Yves Lecerf (1932-1995) (9), du géographe et géopoliticien Yves Lacoste (1929-…) (10). Mes préférés étaient le philosophe Gilles Deleuze (1925-1995) avec ses écrits "L’Image-mouvement" (11) et "l’Image-temps" (12) et ceux commis avec son complice de "l’Anti-OEdipe" (13) et "Rhizome" (14), le psychanalyste et philosophe Félix Guattari (1930-1992) (15). Je peux dire que c’était la première fois de ma vie, que je suivais des cours s’en y rien comprendre du début jusqu’à la fin. Nous étions jeunes et avalions les mots, tous médusés par ce que nous entendions, silencieux, fascinés par le discours magistral et l’éloquence de véritables maîtres de conférence ? Dans ces temps le "Pop-Art" raconté par l’écrivain surréaliste José Pierre (1927-1999) (16), c’était mieux que la télé ! L’art prenait alors une importance intellectuelle qui m’était jusque là, inconnue. Les maîtres mots étaient "interdisciplinarité" et "diversité" et çà marchait. Avec le recul c’était tout de même très enthousiasment. Nous sortions tous dans un tunnel “anti-art” dont l’entrée se trouvait dans l’avant-guerre qui avait vu l’émergence d’un obscurantisme populiste totalitaire dont l’apogée fût atteint par l’exposition nazie : "l’art dégénéré" de 1937 (17). Les manifestations artistiques disparurent totalement pendant la guerre faute de combattants et à la sortie du tunnel, l’incompétence avérée faute de talents survivants semblait insurmontable. L’après guerre vît les autorités encore compétentes opérer un démantèlement des institutions artistiques sous les coups de matraque des réformes économiques néo-libérales tout azimut. Il faut bien mettre des mots sur les choses et dire ce qui est. Dans une économie de l’art, où les critères d’achat et de vente devenaient de plus en plus superficielle et consumériste, voir inexistants, les mauvaises langues rappelaient que: les conseilleurs ne sont jamais les payeurs.

Ouvert en 1969 "Vincennes" fut une création de l’esprit de Mai 68 et ferma ses portes en 1980 et ses locaux préfabriqués furent détruits au bulldozer (18).

« Les avant-gardes n’ont qu’un temps; et ce qui peut leur arriver de plus heureux, c’est, au plein sens du terme, d’avoir fait leur temps. » Guy Debord (1931-1994) (19).

Jean-Bernard Pouchous - 2009.

Bibliographie :

-1- Thierry Savatier, L’origine du monde, Histoire d’un tableau de Gustave Courbet, éd. Bartillat, 2009.

-2- Dawn Ades, André Masson, André Masson, éd. Albin Michel, coll. Les grands maîtres de l'art contemporain, 2000.

-3- André Dedet, Structure du langage et de l’inconscient, éd. L’Harmattan, coll. Sémantique, 2003.

-4- Michel Foucault, Les mots et les choses, éd. Gallimard, coll. Tel, 1990.

-5- Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel, Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, éd. de Minuit, coll. Arguments, 1968.

-6- Frank Popper, Art, action et participation, L’artiste et la créativité aujourd’hui, éd. Klincksieck, coll. Esthétique, 2007.

-7- Noam Chomsky, Peter R. Mitchell, John Schoeffel, Comprendre le pouvoir, tome 1et 2, éd. Aden, coll. Petite Bibliothèque, 2005.

-7- Noam Chomsky, Comprendre le pouvoir, tome 3, L’indispensable de Chomsky, éd. Aden, coll. Petite Bibliothèque, 2006.

-8- Henri Laborit, Eloge de la fuite, éd. Gallimard, coll. Folio, 1985.

-9- Yves Lecerf, Les dictateurs d’intelligentsias, Edouard Parker, éd. PUF, coll. Politique Aujourd’hui, 1987.

-10- Yves Lacoste, Géopolitique, La longue histoire d’aujourd’hui, éd. Larousse, coll. actualité, 2008.

-11- Gilles Deleuze, Cinéma, tome 1, L’Image-mouvement, éd. de Minuit, coll. Critique, 1983.

-12- Gilles Deleuze, Cinéma, tome 2, L’Image-temps, éd. de Minuit, coll. Critique, 1985.

-13- Gilles Deleuze, Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, L’Anti-OEdipe, Coll. Critique, Editions de Minuit, 1972.

-14- Gilles Deleuze, Rhizome, éd. de Minuit, coll. Critique, 1976.

-15- Félix Guattari, Antoine Spire, Michel Field, Emmanuel Hirish, La philosophie est essentielle à l’existence humaine, éd. de l’Aube, 2005.

-16- José Pierre, Le Pop-Art, éd. F. Hazan, 1975.

-17-Jean-Michel Palmier, L'Art dégénéré - Une Exposition sous le III e. Reich, Jacques Bertoin, 1992.

-18- Jean-Michel Djian, Vincennes, une aventure de la pensée critique, éd. Flammarion, 2009.

-19- Guy Debord, La société du spectacle, éd. Gallimard, coll. Folio, 1996.

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