XVI e. siècle (1571-1599)
« Oui - disait Foucault - j’aimerais bien faire l’histoire des vaincus. C’est un beau rêve que beaucoup partagent : donner enfin la parole à ceux qui n’ont pu la prendre jusqu’à présent, à ceux qui ont été contraints au silence par l’histoire, par la violence de l’histoire, par tous les systèmes de violence et d’exploitation. Oui. Mais (...) ceux qui ont été vaincus (...) sont ceux à qui par définition on a retiré la parole ! Et si cependant, ils parlaient, ils ne parleraient pas leur propre langue. On leur a imposé une langue étrangère. Ils ne sont pas muets ».
Cette langue étrangère est la langue du pouvoir, la langue du “témoignage” juridique, de la “confession”, où le sujet parlant est appelé à dire la vérité sur lui-même, à se faire objet et sujet de sa parole de vérité. Sans cette rencontre avec le pouvoir qui objective, subjective et identifie, qui cloue à une identité ses sujets, ce silence demeurerait intact, surface uniforme et homogène, tabula rasa pour écrire l’histoire de vainqueurs. « Les paroles brèves et stridentes qui vont et viennent entre le pouvoir et les existences les plus inessentielles, - écrit Foucault - c’est là sans doute pour celles-ci le seul monument qu’on leur ait accordé; c’est ce qui leur donne, pour traverser le temps, le peu d’éclat, le bref éclair qui les porte jusqu’à nous ».
Mais au fond dans cette position, dans cette attitude théorique de celui qui prête l’oreille au pouvoir pour saisir dans son discours quelque fragment de la “légende des hommes obscurs”, il y avait « toujours la même incapacité à franchir la ligne (...) à écouter et à faire entendre le langage qui vient d’ailleurs ou d’en bas; toujours le même choix, du côté du pouvoir, de ce qu’il dit ou fait dire » (0).
"D'après Le Caravage, Marie-Madeleine", 2010, acrylique sur toile, 35 x 27 cm.
« Pour qu'il y ait de l'art, pour qu'il y ait une action ou une contemplation esthétique quelconque, une condition physiologique préliminaire est indispensable : l'ivresse. » Nietzsche.
Lumière et obscurité.
La peinture intitulée "D'après Le Caravage, Marie-Madeleine", a été peinte d’après "Marie-Madeleine en extase" (1606), huile sur toile (105 x 91 cm.), du Caravage (1571-1610), appartenant à une Collection privée de Rome.
Michelangelo Merisi dit Le Caravage, est un peintre italien (1), son œuvre puissante et novatrice révolutionna la peinture du XVII e. siècle par son caractère naturaliste, son réalisme parfois brutal, son érotisme troublant et son emploi de la technique du clair-obscur qui influença nombre de grands peintres après lui.
L’homme mena une vie dissolue, riche en scandales provoqués par son caractère violent et bagarreur. Sa fréquentation habituelle des bas-fonds et des tavernes, ainsi que sa sexualité scandaleuse lui attira de nombreux ennuis avec la justice, l'Église et le pouvoir. L’artiste a trouvé, dans son art, une sorte de « rédemption à toutes ses turpitudes », mais il fallut attendre le début du XX e. siècle pour que son génie soit pleinement reconnu, indépendamment de sa réputation sulfureuse.
Michelangelo Merisi est né à Milan, où travaille son père, contremaître, maçon, architecte et intendant du marquis de Caravaggio. Sa famille est honorablement reconnue par Francesco Sforza (1401-1466), seigneur de Caravaggio. À l'âge de treize ans, il entre comme apprenti dans l'atelier milanais du peintre Simone Peterzano (1540-1596) à Milan, où il reste quatre ans. Il y étudie les théories picturales de son temps et y apprend le dessin, les techniques de la peinture à l'huile, de la peinture à fresque et du portrait. A l'âge de 20-21 ans, Michelangelo part pour Rome, où il sera pensionnaire au palais Colonna. Les conflits avec son logeur sont constants, il s'en va donc vivre ailleurs, dans les bas-fonds du "Rione Monti", et travaille dans l'atelier "Alla Consolatione" de Lorenzo Carli (1570-1600) dit Lorenzo Siciliano. Rome, à l'époque est une ville pontificale dynamique, animée par le Concile de Trente et la réforme catholique. Les chantiers y fleurissent et il y souffle un esprit baroque. En 1592, un nouveau pape est élu sous le nom de Clément VIII (1536-1605). C'est sous son pontificat qu’eut lieu la réconciliation d'Henri IV (1589-1610) avec l'Eglise, à l'issue de longues négociations. Le roi de France passa au catholicisme en 1593. Après un délai destiné à juger de la sincérité du nouveau converti, Clément VIII passa outre au mécontentement de l'Espagne, et en 1595, il donna solennellement l'absolution à Henri IV ; il mettait fin à une guerre de religion qui avait déchiré la France pendant trente ans et gagnait un puissant allié.
Le Caravage habite en 1595 dans le "Campo Marzio" à proximité de la "piazza della Torretta", dans l'atelier du fameux Giuseppe Cesari dit le Cavalier d'Arpin (1568-1640), peintre attitré du pape. En 1597, grâce à ce mentor, Le Caravage va rencontrer son plus grand protecteur, le cardinal Francesco Maria Borbone del Monte (1549-1626), ambassadeur du grand-duché de Toscane. Il restera à son service cinq ans au "Palais Madama", siège actuel du Sénat. Il obtient sa première commande officielle en 1599 pour décorer la chapelle de Matthieu Contarelli, dans l'église Saint-Louis-des-Français.
En 1603, Le Caravage est impliqué dans une rixe avec d'autres artistes. Parmi eux, le peintre Giovanni Baglione (1566-1643) qui lui intentera un procès pour diffamation avant de devenir son biographe. En 1605, un notaire le cite en justice pour une blessure d'épée à la tête. Motif du litige ? Lena, une courtisane et son modèle. En 1606, il loue un appartement dans le "vicolo del Divino Amore" et c’est dans la toute proche via della Pallacorda, à la suite d'une partie de paume, que le Caravage se bat en duel avec Ranuccio Tomassoni le chef de la milice de son quartier et le tue. Cet acte lui vaut une condamnation à mort, il est obligé de fuir Rome en 1607, il commence un long périple à travers l'Italie. La légende dit qu'il finit « aussi misérable qu'il avait vécu » et que personne ne songea à demander sa dépouille, ni ne lui fit élever un catafalque, comme cela se pratiquait pour les artistes dans l’Italie du XVII e. siècle.
Jean-Bernard Pouchous.
Bibliographie :
-0- Michel Foucault, Dit et Ecrit, tome III, éd. NRF Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences Humaines, 1994.
-1-Sebastian Schütze, Le Caravage - L'oeuvre complète, éd. Taschen France, 2009.