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Grien (1484-1545) - "von Lowenstein"

XV e. siècle (1484 à 1497)

Érasme n'inventait pas l'idée du savoir-vivre ni celle de la littérature de civilité. La tradition en remonte à l'Antiquité (les Disticha de moribus ad filium de Dionysius Caton avaient été imprimés plusieurs fois à la fin du XVe siècle et Érasme lui-même en a fait deux éditions, en 1519 et 1520) et l'humaniste Maffeo Vegio avait fait paraître à Milan en 1491 son De educatione liberorum et eorum claris moribus libri sex. La Civilité puérile n'en renouvelle pas moins profondément le genre ; l'ouvrage inaugure une nouvelle culture de la bienséance et devient pour trois siècles le modèle incontesté de ce genre de littérature. Or la nouveauté la plus frappante du texte d'Érasme tient à ce qu'il fait du corps le sujet central de son traité. Com­mençant par le regard, le premier chapitre (« De la décence et de l'indécence du maintien ») se présente comme une sorte de « blason du corps civilisé » qui, de la tête au pied, passe en revue le maintien civil de chaque partie du corps; ce statut exceptionnel accordé au corps est confirmé par la définition qu'Érasme donne du vêtement, qu'il considère, au début du deuxième chapitre, comme étant « en quelque sorte le corps du corps ». Et, dans les chapitres suivants, les préceptes sur le comportement civil à l'église, à table, lors d'une rencontre, au jeu et au lit concernent toujours le maintien, c'est-à-dire la maîtrise de l'attitude corporelle. De fait, de façon plus précise et méticuleuse que Le Livre du courtisan de Baldassare Casti­glione, Érasme fonde une « culture du corps » au sein de laquelle c'est le corps (civilisé) qui offre « l'aspect le plus immédiat de la personnalité » (0).


"D'après Grien - von Lowenstein", 2010, acrylique sur toile, 35 x 27 cm.

« Si tu t'imagines avoir droit à une longue paix avant de renaître, je te jure que tu te trompes. Entre le dernier instant de la conscience et la première lueur d'une vie nouvelle, ne prend place "aucun temps". Ce délai ne dure que l'espace d'un éclair, encore que des milliards d'années ne sauraient le mesurer. Quand un "moi" fait défaut, un temps infini ne diffère pas d'une succession immédiate. » Nietzsche, le Nachlass (1).


Le vert.

La peinture intitulée "D'après Grien - von Lowenstein", a été peinte d’après "Portrait du comte Ludwig von Löwenstein" (1513), huile sur bois (46 x 33 cm.), de Hans Baldung Grien (1484/1485), exposée à la Gemaldegalerie de Berlin.

Les comtes puis princes von Lowenstein et toutes les branches qui en descendent sont issus du mariage morganatique de Friedrich Ier, Prince Palatin von der Pfalz (1425-1476) et de Klara Tott (1440-1520). Ludwig I, Graf von Lowenstein (1463-1524) était leur fils. Hans Baldung, connu sous le nom de Hans Baldung Grien/Grün (vert), en raison de sa prédilection pour la couleur verte, est un peintre, dessinateur et graveur allemand de la renaissance, élève Albrecht Dürer (1471-1528) à Nuremberg entre 1503 et 1507, il passa l'essentiel de sa vie à Strasbourg, hormis un séjour à Fribourg-en-Brisgau en 1513/1516 où il réalisa entre autres le retable de la cathédrale. En 1517, Hans Baldung Grien peint un tableau dans lequel la Mort saisit une jeune fille par les cheveux pour la forcer à descendre dans la tombe creusée à ses pieds, qu'elle désigne de sa main droite. La jeune fille, complètement nue, n'offre aucune résistance. Sa bouche est plaintive, ses yeux sont rouges et des larmes coulent sur ses joues. Elle a compris que c'est la fin. On peut supposer que la rencontre de la jeune fille avec la Mort servait de prétexte pour représenter la nudité féminine. Ce thème a un passé à multiples facettes. Il prend racine dans de très vieilles traditions mythologiques: chez les anciens Grecs, le rapt de Perséphone (Proserpine chez les Romains) par Hadès (Pluton), dieu des Enfers, est une claire préfiguration de cette collision entre Éros et Thanatos. La jeune déesse cueillait des fleurs en compagnie de nymphes insouciantes lorsqu'elle aperçut un joli narcisse et le cueillit. À ce moment, la terre s'entrouvrit; Hadès sortit des abysses et enleva Perséphone. C'est cette ancienne vision qui sera mise en forme à la fin du XVe siècle pour devenir le thème de "La jeune fille et la Mort". Celui-ci connaîtra son point culminant chez les artistes allemands de la Renaissance. Dans presque toutes les danses macabres, déjà, figurait une rencontre de la Mort avec une ravissante pucelle; on trouve aussi une jeune femme dans le thème "Les trois âges et la Mort" de Hans Baldung Grien. La figure de la jeune femme est, par excellence, associée aux promesses de la vie. Sa beauté, objet de contemplation et de désir, la rend fragile et vulnérable aux outrages du temps et du vieillissement, elle est soumise à l'oeuvre de la mort. La jeune fille est la préfiguration de la constante confrontation des deux contraires qui nous habitent: la vie et la mort dont le philosophe Héraclite (VI e. s. av. J.-C) nous a appris la coexistence dans "L'univers des vivants, la nature et le cosmos".

« Quand la Mort rencontre Vénus c'est la collision brutale entre la vie et la mort, car la féminité est le symbole de vie, de fécondité, (...), de permanence (...). Et cette opposition entre la mort et l'image de la jeune femme va au-delà de la méditation sur les âges: c'est l'interrogation, en termes biologiques, sur la survie de l'espèce. » Gert Kaiser (1).

"La jeune fille et la Mort", met en relief le sombre lien entre la sexualité et la mort. Un rapprochement nouveau pour l'époque. Dans ce type d'iconographie, la demoiselle n'est plus entraînée dans une danse, mais dans un échange sensuel, qui s'érotisera toujours plus avec le temps. Malgré la sensualité des images, on n'oublie pas la morale: on rappelle toujours le caractère éphémère de la vie, de la fière beauté de la femme. Son corps, son visage, sa chevelure, sa poitrine deviendront un jour pâture pour les vers...

Ce thème a franchi les frontières de la peinture. Franz Schubert (1797-1828) a mis en musique un poème de Matthias Claudius (1740-1815) intitulé "La jeune fille et la Mort", quatuor pour corde composé en 1824. "La jeune fille et la Mort" est aussi le titre d'une pièce de théâtre en trois actes, écrite par Ariel Dorfman (1941-…) en 1991. La pièce traite de sexe, de violence et de mort, trois éléments souvent associés au thème. Elle a été portée au cinéma en 1994 par Roman Polanski (1933-…).

Jean-Bernard Pouchous - 2010.

Bibliographie :

0- Georges Vigarello, Histoire du corps, 1. De la renaissance aux Lumières, éd. du seuil, coll. Points histoire, 2011.

-1- Gert Kaiser, trad. Nicole Taubes, Vénus et la Mort, éd. Maison des sciences de l'homme, 1999.

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