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AYE!


"Aye-Aye", acrylique sur toile, 2010, 16 x 22 cm.

« L'air en sa totalité est rempli d'âmes, et ces âmes sont appelées démons et héros » (Diogène Laërce, VIII, 32) (1).


Un perpétuel repentir.

La peinture intitulée "Aye-Aye" représente probablement le "Daubentonia madagascariensis" unique représentant du genre "Daubentonia" en voix d’extinction. Une espèce de lémurien assez singulière puisque ses incisives rappellent celles des rongeurs, ses oreilles celles des chauve-souris et sa queue celle des écureuils. Enfin, il possède une adaptation particulière, le troisième doigt de la main est extrêmement allongé. L'Aye-Aye a un mode de vie arboricole, il mesure de 75 à 90 cm de long - dont 44 à 53 pour la queue - et pèse de 2 à 3 kg. Les deux sexes sont apparemment impossibles à identifier. Il déloge des larves d'insectes xylophages qu'il détecte en tapotant les troncs avec son doigt spécialisé, auxquelles il accède en élargissant les orifices et en déchiquetant les couches supérieures avec ses incisives, et qu'il déniche finalement avec son grand doigt muni d'une griffe. À d'autres périodes de l'année, c'est pour extraire le cœur spongieux des gales sur les branches d'Eugenia que son doigt spécialisé lui est utile.

L’aye-aye, tient une place très particulière dans le bestiaire malgache. De multiples légendes courent sur cet animal aux mœurs solitaires et nocturnes. Le mythe de l'animal est maléfique, conservé, transmis de génération en génération, il considère l’animal comme porte malheur s'il apparaît dans ou aux abords des habitations. Les devins se servent de majeur démesuré pour appliquer leurs pouvoirs de sorcellerie.

La peinture intitulée "Tarsier" représente un minuscule primate, ce n’est pas un singe mais une créature nocturne à part entière, difficile à apercevoir parce qu’il ne bouge jamais de l’arbre qu’il a choisi d’habiter dans les îles du Sud-Est de l'Asie dont les Philippines, Sulawesi, Bornéo et Sumatra. Cette bête émet et perçoit les ultrasons, cette aptitude lui permet de communiquer à l'insu de ses prédateurs, mais aussi de ses proies. Mammifère insectivore, il se nourrit aussi d’oiseaux et de serpents. Le Tarsier à la particularité de faire pivoter sa tête à 180°, dispositif indispensable car ses yeux sont trop gros pour tourner dans les orbites. Ainsi sa tête est aussi grosse que son corps et ses gigantesques yeux brillent dans la nuit, ce qui a amené les indigènes de Bornéo à le considérer comme un « hantou » (démon). Cette bizarrerie animale, par son regard exorbité nous pousse à nous enquérir de ce qui manifeste la présence d’un démon ou d’une âme. Si les manifestations s’accordent à leurs essences, puissances et activités… d’une seule espèce sont les apparitions des démons variés, maîtres du monde qui administrent les éléments subliminaires. Noir est le monde sous la canopée primitive.

André Breton datait de 1925 l'entrée du surréalisme en "période raisonnante". Arès avoir proclamé le développement infini de l'automatisme, il allait s'attacher aux réalités politiques et sociales. Enrichissement ou appauvrissement ? (2).

En ces temps où de grandes expositions, à Londres et bientôt à Paris, célèbrent le surréalisme, il vaut la peine de s’attarder sur le curieux atlas du monde qu’en 1929 les disciples de Breton avaient publié dans la revue Variétés. La méthode de projection utilisée n’obéissait pas à des paramètres géographiques : chaque pays s’y voyait représenté en fonction de l’importance que le surréalisme lui accordait dans la genèse de ses idées. Deux "corrections" sont frappantes : les Etats-Unis ont disparu, engloutis sous une frontière qui coud directement le Mexique au Canada. Et un petit pays y couvre un espace démesuré : l’Afghanistan...

Coïncidence ? Non. L’idéologie surréaliste n’avait cessé de souhaiter la mort d’une Amérique à ses yeux matérialiste et stérile et le triomphe d’un Orient dépositaire des valeurs de l’esprit.

Extra-lucide comme elle se plaisait à croire qu’elle l’était, l’intelligentsia française est ainsi allée très tôt et très loin dans la préfiguration de ce qui s’est passé le 11 septembre. Les textes sont là pour souligner, entre 1924 et 1930, cette imagination destructrice. Aragon en 1925 : « Nous ruinerons cette civilisation qui vous est chère... Monde occidental tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe... Voyez comme cette terre est sèche et bonne pour tous les incendies. » Ne manque pas même à la péroraison sa dimension oraculaire, ou plutôt "pythique" comme aurait dit Breton, si féru d’occultisme : « Que les trafiquants de drogue se jettent sur nos pays terrifiés. Que l’Amérique au loin croule de ses buildings blancs... » (La Révolution surréaliste, n° 4, 1925 (3).

Le rêve d’Aragon s’est réalisé. Nous y sommes. L’outrance n’était pas seulement verbale. Si l’acte surréaliste le plus simple, comme on sait, c’était descendre dans la rue et tirer sur le premier venu, cette folie meurtrière n’aurait pas dédaigné, si les appuis politiques lui avaient été fournis, de s’en prendre à un Occident tout entier voué à l’exécration. Le gentil Robert Desnos lui-même voyait dans l’Asie “la citadelle de tous les espoirs”, il appelait de ses vœux les barbares capables seuls de marcher sur les traces des "archanges d’Attila".

La lutte se terminera par la victoire d’un Orient en qui les surréalistes voient « le grand réservoir des forces sauvages », la patrie éternelle des grands destructeurs, des ennemis éternels de l’art, de la culture, ces petites manifestations ridicules des Occidentaux.

Au nom d’un "mysticisme" confus et d’une "fureur" sans frein - pour reprendre les termes qui reviennent dans leurs écrits - c’est bien à une attaque en règle contre la logique, contre la raison, contre les Lumières que se livrent, au milieu des années 1920, derniers héritiers du romantisme noir, les jeunes surréalistes. Ce qu’ils veulent, c’est la destruction radicale de tout ce qui a donné à l’Occident sa suprématie.

Bien sûr, pareils appels au meurtre furent des lieux communs de toutes les avant-gardes (4).

Bibliographie

-1- Diogène Laërce, éd. Le livre de poche, 1999.

-2- André Wielwahr, S'affranchir Des Contradictions - André Breton De 1925 À 1930, éd. L'Harmattan, 1998.

-3- André Breton, La révolution surréaliste (1924-1929), éd. Jean-Michel Place, coll. Complète, 1997.

-4- Jean Clair, Le surréalisme et la démoralisation de l’Occident, éd. Le Monde, coll. 40138, 2001.

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