L'HIVER 72
"Hivers 72", 1972, lithographie numérotée, 65 x 50 cm.
« Le besoin de cataloguer à tout prix les êtres humains utilise toujours la division la plus élémentaire, la plus évidente (le sexe, la race, l'âge, la religion, etc.) celle qui a toujours été admise par une tradition millénaire » Elena Belotti (1).
L’hiver 72 et la cellule.
Le 13 octobre 1972, un Fokker du vol 571 Fuerza Aérea Uruguaya, lors d’un vol vers le Chili, s’écrase sur un glacier de la cordillère des Andes, à 4.000 mètres d’altitude, à proximité de la frontière argentine. 16 des 45 passagers de l’appareil ont survécu après être restés isolés pendant 72 jours. Les survivants de l’appareil, bloqués dans le froid extrême (jusqu’à -40°C la nuit) et la neige des jours durant, ont appris par la radio que les opérations de recherche avaient été abandonnées, onze jours après le crash. Ils ont dû se résoudre à manger les corps des victimes de l’accident pour survivre. Fernando Parrado (23 ans) et Roberto Canessa (19 ans), deux des survivants, ont pu entreprendre d’aller chercher les secours par eux-mêmes en atteignant le Chili après 10 jours d’escalade et de marche à travers les Andes. Leur énergie, force, ténacité et courage sont admirables (2). Je me souviens bien de cette actualité, j’étais alors aux beaux-Arts de Grenoble et nous suivions toute cette aventure sur nos transistors. Je faisais alors de la lithographie et je voulais traduire en image cette énergie vitale qui habitait certain homme, cette force de vie qui nous pousse à extraordinairement exister.
La lithographique a été inventée en 1796 par un acteur et auteur dramatique autrichien Aloys Senefelder (1771-1834) (3), son emploi est relativement simple, mais le matériel nécessaire lourd et encombrant. Dessiner sur la pierre calcaire ne change pas énormément du dessin sur papier, l’avantage est commercial car ce procédé permet de tirer plusieurs épreuves en nombre limité et numéroté d’un même original.
Nous voyons avec la litho. intitulée "Hiver 72", un dessin d’imagination représentant un grouillement de petits personnages sexués. Leur activité est cernée par une membrane, il y en a des noirs, bleus, rouges, à l’intérieur et des rouges, bleus, blancs, à l’extérieur, afin de discerner les femelles, des mâles. C’est comme si nous regardions avec un microscope optique le contenu d’une "boite de Pétri" généralement utilisée en microbiologie pour la mise en culture de micro-organismes. Julius Richard Petri (1852-1921) était un bactériologiste allemand qui inventa ce dispositif, constitué de d’une boite cylindrique peu profonde, en verre (maintenant en plastique) munie d’un couvercle. Elle est utilisée pour la mise en culture de micro-organismes, la boite est alors partiellement remplie d’un liquide nutritionnel permettant le développement de ces organismes en vue d’une étude en laboratoire. Différentes colorations, permettent l’observation des structures au microscope optique (4). La cellule est l’unité structurale, fonctionnelle et reproductrice constituant tout ou partie d’un être vivant, à l’exception des virus. En latin "cellula" signifie petite chambre. Chaque cellule est une entité vivante qui, dans le cas d’organismes multicellulaires, fonctionne de manière autonome, mais coordonnée avec les autres. Les cellules de même type sont réunies en tissus, eux-mêmes réunis en organes. La théorie cellulaire implique l’unité de tout le vivant. Tous les êtres vivants sont composés de cellules dont la structure fondamentale est commune ainsi que l’homéostasie du milieu intérieur, milieu de composition physico-chimique régulé et propice au développement des cellules de l’espèce considérée. Pour imaginer ces images artistiques et en construire la composition, je me suis servi de souvenirs d’enfance des premiers balbutiements de l’imagerie scientifique analogique. Quand j’étais petit, pour nous occuper dans nos vacances, notre père, nous amenait souvent, mon frère et moi, le jeudi, dans son lob oratoire où il nous préparait des boites de Petri à regarder au microscope optique. Il était bactério-chimiste et chef de laboratoire dans l’industrie agro-alimentaire. Nous observions les préparations qui étaient colorées pour distinguer les différentes parties des organismes pluricellulaires comme les moisissures ou unicellulaires comme les bactéries, les levures ou champignons (5). Nous les appelions les "Roudoudous" et les "Riquiquis". A ne pas confondre ! Riquiqui et Roudoudou étaient des personnages créés par José Cabrero Arnal (1909-1982) (6), pour la série dessinée quotidienne de "Pif le chien". Mais le Roudoudou avait notre préférence car il était aussi une confiserie en sucre cuit parfumée et coulée dans une coquille de coque, très répandue à cette époque et aujourd’hui complètement disparue. Donc, dans ces boites de Petri il se passait toutes sortes d’évènements formels colorés, fixes ou en mouvement qui selon le réglage du microscope apparaissaient net ou flou par endroit. Les couleurs parfois se mélangeaient comme elles se sont mélangées plus tard dans l’art psychédélique (7). Pendant ces manipulations pratiques, notre père nous familiarisait avec son langage théorique.
Jean-Bernard Pouchous - 2008.
Bibliographie :
-1- Elena Belotti, Du Côté des Petites Filles, éd. Des Femmes, 1973.
-2- Nando Parrado, Vince Rause, Marianne Audouard, Miracle dans les Andes : 72 jours dans les montagnes et ma longue marche pour rentrer, éd. LGF, coll. Le Livre de Poche, 2008.
-3- Jean Adhémar, La Lithographie : Deux cents ans d'histoire, de technique, d'art, éd. F. Nathan, 1983.
-4- Jean Théodiridès, Histoire de la biologie, éd. PUF, coll. Que sais-je ?, 2000.
-5- Jean-Luc Gestin, Fred Werner Goldstein, Jacques Acar, Atlas de bactériologie : Examens directs par colorations usuelles, éd. PIL, 1993.
-6- José Cabrero Arnal, Pif le chien, éd. J'ai lu, coll. Pif, 1999.
-7- Robert Edward Lee Masters, Jean Houston, Stanley Krippner, Marshall Lee, trad. Marie-Anne Pini, L'Art psychédélique : EPsychedelic arte, éd. Del Duca, Laffont, 1968.
