MASACCIO - Jeune Homme

XV e. siècle (1401 à 1430)

Une subtile différence existe en latin entre scientia et eruditio, en anglais entre knowledge et learning. Scientia (knowledge) dénote une pos­session mentale du savoir plutôt qu'un processus mental : on peut l'identifier aux sciences natu­relles. Eruditio (learning) dénote un processus de connaissance plutôt qu'une possession : c'est le cas pour les humanités. On pourrait comparer le but idéal de la science à une domination, et celui des humanités à une sagesse.

Marsile Ficin (1466-1499) écrivait au fils du chancelier de la république de Florence Poggio Bracciolini (1380-1459): « L'histoire est de la dernière nécessité non seulement pour rendre la vie agréable, mais pour lui conférer des valeurs morales. Ce qui en soi est mortel accède par l'histoire à l'immortalité, ce qui est absent devient présent, les vieilles choses rajeunissent, les jeunes gens égalent bien vite la maturité des gens âgés. Si un homme de soixante-dix ans passe pour avisé en raison même de son expérience, combien plus avisé sera celui dont la vie s'étend sur un millier, sur trois mil­liers d'années ! Or on peut dire d'un homme qu'il a vécu autant de millénaires qu'il en embrasse par sa connaissance de l'histoire. » Erwin Panofsky, L’œuvre d’art et ses représentation. (0)

07-01-1- "D'après Masaccio - Jeune homme", 2010, acrylique sur toile, 35 x 27 cm.

« Le monde s'ouvre à l'action des hommes » Daniel Arasse (1944-2003) (1).

07-01-1- Les Ateliers flamands.

La peinture intitulée "D'après Masaccio - Jeune Homme", est peint d’après "Jeune Homme de profil" (1425), huile sur bois (42 x 32 cm.), de Tommaso di Giovanni Cassai, dit Masaccio (1401/1428), exposée à la National Gallery of Art de Washington, USA.

Peintre italien, Masaccio (2) doit son surnom, qui signifie "idiot", à sa distraction et à sa fantaisie, il mourut à l'âge de 27 ans dans des conditions mystérieuses au cours d’un voyage à Rome avec Masolino da Panicale (1383-1440). Masaccio est considéré comme le plus grand peintre de la Première Renaissance (1420/1500) et est traditionnellement présenté comme le premier peintre moderne. Il a en effet introduit dans l'art occidental la notion de vérité optique, de perspective et de volume.

Son œuvre la plus connue "Adam et Ève chassés du paradis" se trouve dans la chapelle Brancacci (fondée en 1386), à l'extrémité du transept droit de l'Église Santa Maria del Carmine (Florence - quartier de Oltrarno). Ces fresques sont commencés en 1424 par Masolino da Panicale (1383-1440) poursuivit en 1429 avec Masaccio et terminées entre 1480 et 1485 par Filippino Lippi (1457-1504). Le lieu reste célèbre grâce aux innovations du jeune Masaccio qui n'hésita pas à représenter la laideur sur le visage d'Ève chassée du Paradis en compagnie d'Adam, remarquable surtout par le brio de son clair-obscur et par l'application des lois de la perspective découvertes par Brunelleschi (1377-1446). C'est vraisemblablement en 1674, sous le règne du très pieux Cosme III de Médicis (1642-1723), que la nudité d'Adam et Ève avait été habillée de feuilles d'oliviers. La restauration de 1984 et 1988 a permis de lui redonner son allure originelle.

Johannes Gutemberg (1400-1468) inventa de la presse mécanique à caractère alphabétique mobile métallique à partir de 1450. Peu avant l’Art du Portrait connut un véritable Renaissance où, l'imprimerie aidant, on vit une prolifération de traités qui la présentaient comme une des nombreuses branches des sciences occultes aux côtés de la vaticination, de la géomancie, de la chiromancie, de l'art de la mémoire etc. L'exploitation du pouvoir de suggestion des illustrations devint alors de plus en plus fréquente dans la pratique éditoriale, s'inscrivant dans toute une réflexion sur la valeur de l'image, mode d'expression qui permettait de traduire de ma­nière cryptée les conceptions des auteurs. La nécessité d'accompagner tout traité physiognomonique de planches gravées s'imposait d'autant plus que les arts visuels étaient considérés comme le meilleur moyen de toucher directement et immédiatement l'âme des individus. L'écrivain ne pouvant traduire les cho­ses qu'en les fractionnant, il appartenait au dessinateur, au peintre, de donner à voir en un instant unique tous les détails d'un corps dans son entier et surtout d'un visage : « Le poète, qui décrit la beauté ou la laideur d'un corps, le fait paraître membre après membre, à des moments successifs - remarque Léonard de Vin­ci - ; le peintre le rend visible en une seule fois. Le poète ne peut donner par des mots la vraie forme des parties qui composent le tout, comme le peintre qui te le présente avec la même vérité que la nature » (3).

Dans un ouvrage remarquable consacré à l'huma­nisme de la Renaissance, le philosophe Ernst Cassirer constate que de façon caractéristique le grand humaniste Pétrarque (1304-1374) escalade le mont Ventoux, en Provence, pour se confronter à lui-même : « un paysage devient le miroir vivant du moi » et « dans cette contemplation même de la nature, il se sent renvoyé à lui-même » de telle façon que « le sentiment de la nature retombe au niveau d'un simple miroir du sentiment de soi : « Qu'a donc ce lieu d'assez glorieux pour que François Pétrarque vienne l'habiter ? »

L'homme comme fin, le monde comme simple moyen ou support de la réflexion sur soi. Tout s'est souvent passé dans la civilisation occidentale comme si la nature, le cosmos et ses Dieux n'étaient finalement que de gigantesques Sphinx face auxquels cet homme n'attend que l'énigme de sa propre existence…

Jean-Bernard Pouchous - 2011.

Bibliographie :

07-01-0-Erwin panofsky, L’œuvre d’art et ses représentation, éd. Gallimard, coll. Folio Essais, 2014.

07-01-1-1-Daniel Arasse, Le Sujet dans le tableau. Essais d'iconographie analytique, éd. Flammarion, Coll. Champs Arts, 2008.

07-01-1-2-Umberto Baldini, Masaccio, éd. Gallimard, coll. Maîtres de l'art, 2001.

07-01-1-3- Léonard de Vinci, Traité de la peinture, traduit et présenté par A. Chastel, éd. Berger-Levrault, 1987.

07-01-1-4- Ernst Cassirer, Individu et Cosmos dans la philosophie de la Renaissance, Editions de Minuit, 1983.