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8-PARFUM DE DEUIL


"Parfum de deuil", 2006, acrylique sur toile, 80 x 40 cm.

« Le bâtard qui voit le jour dans le quartier le plus nauséabond de Paris s’appellera Grenouille, étrange nom guttural dont Gaillard (sa nourrice) et Grimal (le tanneur qui l’emploie à des tâches répugnantes) se font les échos, comme si la marginalité appelait forcément la marginalité. C’est donc dans la fange parisienne du XVIIIe que Grenouille, né sans parents ni amour, sans racines ni odeur, mène une vie de nomadisme olfactif, volant les odeurs, les imaginant, les recréant pour les infuser au monde entier. Sans distinction hiérarchique, il se pénètre de la moindre senteur, tout d’abord frénétiquement, puis avec méthode, pour finalement se livrer à un projet démiurgique et vampirique. Dans ce voyage jusqu’aux confins de l’imagination à la fois poétique et morbide, Süskind nous entraîne sans repos à la suite de son héros monstrueux, véritable buvard des essences dont l’ultime expérience revêt presque un caractère généreux et mystique. » Sana Tang-Léopold Wauters, à propos de "Le Parfum" de Patrick Süskind (1949/…) (1).


Animisme.

Dans la peinture intitulée "Parfum de deuil", la bouteille de parfum à l’eau de rose est celle des filles de la maison, ainsi que l’instrument de massage en bois qui est toujours suspendu dans la douche et laisse rêveur. A chaque fois que je regarde ce flacon rose vif, je pense au livre à cette irrespirable histoire dégagée par "Le Parfum" de Süskind (2).

Les coquillages proviennent de Papouasie ainsi que le collier de perles de corail rouge discrètement dissimulé dans cette composition. Ce collier retient un petit sac en cuir brun qui renferme un talisman, il m’avait été offert par le défunt Joël Pitsia, le vieux chef de la tribu des KUK de la grande île Tabar en Nouvelle France, Papouasie Nouvelle Guinée. « Take it, a gift, it’ll be good for a gid like you ! » me dit-il, en me l’accrochant autour du cou dans la maison des hommes. Je l’ai gardé précieusement, depuis.

Biensûr, que je ne suis pas superstitieux, je ne crois absolument pas à la sorcellerie ! Mais ce porte-bonheur papou, je peux vous dire que quand je le mets en route, il marche à fond, c’est vraiment du garanti super cadeau utile, pratique et efficace (3).

« L’évènement est le maître des sots. » Tite-Live (-59 à -17) (4).

De retour à l’atelier, à cette époque j’écoutais une émission de radio qui s’appelait "Des Papous dans la tête", tout en travaillant sur le thème de "la nudité chez l’animal". Toute une faune surgissait alors des toiles et tel le chasseur à l’affût de la bête je guettais plus particulièrement l’apparition sonore d’un de ces prédateurs d’animateur radiophonique de l’heure, celui qui a pour signe particulier "endurance", qui s’appelle Patrice Delbourg (1949-…) (5). Je savourais alors, en carnassier vorace, les "exquis mots" (6), malicieux et cruels de ce poète désabusé. Chacune de ses chroniques était impitoyable, voir mortelle pour certains qui sans voix poussaient la chansonnette et pour tant d’autres petites grenouilles qui chantaient autour du marigot.

HISTOIRE DE PAPOUS : « Chez les Papous, y’a des papous à poux et des papous pas à poux. Mais chez les Papous, y’a des papous papas et es Papous pas papas. Donc, chez les Papous, y’a des papous papas à poux, des papous papas pas à poux, des papous pas papas à poux et des papous pas papas pas à poux. Mais chez les poux, y’a des poux papas et des poux pas papas… Donc chez les papous, y’a des papous papas à poux papas, des papous papas à poux pas papas, des papous pas papas à poux papas et des papous pas papas à poux pas papas. »

A apprendre par cœur et à réciter plusieurs fois avec facilité pour aiguiser l’envie de vous imiter spontanément dans auditoire quelconque (effet garanti). André Franklin (1924-1997), dessinateur de "Gaston Lagaffe" (7).

Chez les Papous (8), j’avais assisté à une cérémonie du "culte des ancêtres" appelé Malanggan. L’animisme évoque la croyance aux esprits comme aux âmes. L’âme, selon eux, serait distincte du corps car de puis la nuit des temps, lors des rêves, le dormeur semble atteindre un monde différent de celui où se trouve son corps. L’animisme désigne aussi un vaste ensemble de cultes « traditionnels » selon lesquels les éléments de la nature (les pierres, le vent, les animaux...) seraient dotés d’âmes ou d’esprits.

« L‘animisme est le fondement de la religion, celui de celle des sauvages jusqu’à celle des civilisés » Edward Burnett Tylor (1832-1917) (9). Cet anthropologue démontre que théoriquement cette croyance est la forme la plus ancienne de la religion. Il cherche son origine. Sa reconstitution selon un schéma linéaire ne fait aucun doute : animisme, fétichisme, naturisme.

Le philosophe positiviste Isidore Marie Auguste François Xavier Comte dit Auguste Comte (1798-1857), voyait déjà dans le fétichisme l’aube de la religion (10). Abandonné depuis la seconde guerre mondiale par les anthropologues, le concept d’animisme s’est transformé en question portant davantage sur des notions de magie ou de sacré. Les principales formes de culte animiste sont le culte des morts et celui des forces de la nature. Parmi les rites, l’initiation a une place importante. Cette religion qui n’en est pas une, est surtout présente en Afrique, en Asie, en Océanie et Mélanésie.

Du latin "anima" âme, l’animisme tire son sens d’une doctrine philosophique qui suppose que la vie des êtres vivants est la conséquence de l’âme, principe de vie déterminant aussi chez l’homme le principe de pensée. L’animisme peut se résumer à une doctrine métaphysique qui explique les phénomènes de la vie. Platon et Aristote pensent, que l’ordre qui se manifeste dans les opérations des êtres vivants est dépendant d’une intelligence. La vie venait de l’âme et cette dernière «était la forme du corps.

« II faut imaginer tous les choix essen­tiels comme si leur ensemble engageait la vie dans une certaine version de l’huma­nité. Symboliquement, ces choix semblent relever d’un choix général qui les fonde, et s’accomplit en amont de l’existence. Le mythe évoque donc ce qui se passe avant même la naissance, point de départ de l’expérience vécue. » Platon (11).

La vision religieuse polythéiste du paganisme gréco-romain montre que la technique magique ou mécanique arrachée aux dieux devient le bien des hommes. Le mythe de Prométhée montre le désir des hommes de s’approprier pour leur propre fonction la technique du feu. Au contraire, dans l’optique du monde scientifique, les phénomènes de l’univers tels que cataclysmes et tempêtes, sont des éléments que l’homme ne peut maîtriser, bien que naturels. La science a conçu une nature vidée de toute notion anthropocentrique et ainsi s’est débarrassée de toutes les formes de superstition. Soyons "carré" comme l’orateur romain Cicéron (-106 à -43), qui sauva la république (12) en dénonçant la conjuration de Catalina (-108 à -62), qui nous rapporte dans ses temps de grandes conspirations politiques que « deux prêtres romains ne pouvaient se croiser sans avoir envie de rire ». Le rite chargé de signification symbolique est un élément d’un rituel qui se doit d’être organisé dans l’espace et le temps. Le rite n’est pas spontané : au contraire, il est réglé, fixé, codifié, et le respect de la règle garantit l’efficacité du rituel. Les deux mots rite et rituels sont issus du latin "ritus" pour le premier et de "rituales libri" (livre traitant des rites) pour le second, soit l’oral et l’écrit d’une même chose (13). Le rituel est une suite de séquences d’actions stéréotypées qui incite à s’unir à la tradition que le rite consacre. Il est donc sacré quand il nécessite recueillement et liens entre initiés. Sans rite et rituels point de liens sociaux donc pas de cohérence sociale, d’unité voir d’uniformité de comportement. Il est dit « profane » quand il a un rôle plus ordinaire qui ne nécessite aucune initiation particulière à part un minimum de convention collective et de savoir-vivre comme les rituels de politesse. Pour quelqu’un qui croit au sacré la profanation du rite et des rituels est inacceptable et suscite l’anathème, inspire l’opprobre, provoque la mise à l’index, amène à l’exclusion, l’excommunication, le bannissement voir la peine capitale. La croyance aux rites et rituels est exclusive et radicale elle s’oppose à toute forme de marginalisation, de différence et d’ingérence, c’est un « dictat », chose dictée par celui qui sait et qui a forcément raison, celui qui fonde tout sacerdoce.

A propos de « sacerdoce » je vais vous raconter une histoire populaire évoquant la virilité mythique d’Henri de Bourbon roi de France sous le nom d’Henri IV (1553-1610) (14), ce capétien qui a abjuré le protestantisme et a qui on prête à tord la phrase : « Paris vaut bien une Messe », ce roi de Navarre, peut de temps avant son assassinat, s’inquiétait auprès de son médecin d’une subite faiblesse d’érection dans les rituels conjugaux qu’il entretenait régulièrement avec la reine de France Marie de Médicis (1575-1642) (15), avec qui il eut six enfants. Le médecin qui savait d’autre part qu’il avait 10 autres enfants illégitimes avec six de ses nombreuses maîtresses, l’informa avec éloquence et diplomatie du mécanisme de fonctionnement sanguin du royal organe de sa gracieuse majesté, qui sans vouloir faire un crime de lèse majesté à ses dires, ressemblait beaucoup à tous ceux des autres hommes de son âge. Le roi de France et de Navarre soupira incrédule et dit : « Ah, bon ! Je croyais que c’était un os ! »

Jean-Bernard Pouchous - 2009.

Bibliographie :

-1- Sana Tang-Léopold Wauters, trad. Bernard Lortholary, à propos de Patrick Süskind, Le Parfum , éd. LGF, coll. Livre de Poche, 2006.

-2- Patrick Süskind, trad. Bernard Lortholary, Le Parfum , éd. LGF, coll. Livre de Poche, 2006.

-3- Louis Jacolliot, La genèse de l’humanité, Fétichisme, Polythéisme, Monothéisme, éd. BookSurge Publishing, 2000.

-4- Bernard Mineo, Tite-Live et l’histoire de Rome, éd. Klincksieck, coll. Etudes et commentaires, 2006.

-5- Patrice Delbourg, Signe particulier endurance, Le Castor Astral, Littérature, 2007.

-6- Patrice Delbourg, Le petit livre des exquis mots, éd. Le Cherche Midi, 2008.

-7- André Franklin, Gaston - tome 1, éd. Dupuis, coll. Tous Publics, 1998.

-8- Douglas Newton, Arts des mers du sud. insulinde, melanesie, polynesie, micronesie, éd. Adam Biro, coll. Musée Barbier-Mueller, 1998.

-9- Edward Burnett Tylor, La civilisation primitive, éd. C. Reinwald, 1876.

-10- Auguste Comte, Bernard Jolibert, L’éducation positve, éd. L’Harmattan, 2004.

-11- Platon, Émile Chambry, La République, livres I à X, éd. Gallimard, coll. Tel, 1992.

-12- Cicéron, La République, éd. Gallimard, coll. Tel, 1994.

-13- Arthur Maurice Hocart, Lucien Scubla, Au commencement était le rite. De l'origine des sociétés humaines, éd. La Découverte, 2005.

-14- Jean-Pierre Babelon, Henri IV, éd. Fayard, 2009.

-15- Jean-François Dubost, Marie de Médicis : La reine dévoilée, éd. Payot, coll. Biographie, 2009.

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