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VISITE GUIDEE


"Drop la rose", 2009, acrylique sur toile, 162 x 97 cm.

« Visite guidée » du Salon d’Automne

Article publié sur le site du SA et des amis du SA.


« Il y a deux mille cinq cents ans, les Grecs inventèrent la skholê, c’est-à-dire le loisir, pour ouvrir à l’esprit l’espace de la morale, du débat politique, de la philosophie, de l’esthétique, de la science désintéressée. Ainsi la pensée occidentale prit-elle son essor. Or le Nouvel Age s’oppose à cette notion de loisir. Il interrompt la tradition de la vita contemplativa. Il ne connaît que la pensée opérationnelle, la pensée gestionnaire, fonctionnarisée, soumise à la loi de l’efficacité. N’est-ce pas d’ailleurs cette suprématie de l’utile qu’exprime le slogan familier du Nouvel Age: « Penser de façon positive ? » La pensée positive est présentée par le Nouvel Age sous un jour flatteur, mais il se pourrait bien que cette positivité soit la négation même de la pensée. Car que reste-t-il de l’essence de la pensée si on lui ôte le loisir, la gratuité, et si on lui demande de rendre compte de ses résultats ? Cette « obligation de résultats » constitue, pensons-nous, un véritable désastre philosophique. Le règne de la liberté de l’esprit, commencé sous le ciel de la Grèce antique, risque de prendre fin dans le cockpit du « vaisseau spatial Terre », avec la conscience humaine asservie aux instruments de bord, branchée sur les mécanismes régulateurs de la Terre et servant de timonier spatial. » Michel Lacroix

« Une poésie est comme une peinture ; il s’en trouvera une pour te séduire davantage si tu te tiens plus près, telle autre si tu te mets plus loin. L’une aime l’obscurité, une autre voudra être vue en pleine lumière, car elle ne redoute pas le regard perçant du critique; certaines ne font plaisir qu’une fois, d’autres, reprises dix fois, font toujours plaisir. » Horace, Art Poétique, vers 361-365.

Visite guidée

Le Salon d’Automne est pour moi chaque année, que j’y expose ou non, l’occasion d’une sortie attendue. Je m’en frotte les mains d’avance avec appétit ! Je vais voir une exposition d’œuvres d’art sélectionnées par les artistes eux-mêmes. En effet les artistes-sociétaires de cette association autogérée garantissent l’intégrité d’une manifestation annuelle originale « la vitrine de l’art en train de se faire ». Les productions d’où qu’elles viennent, devant être de l’année, leur sélection s’opère d’après des critères propres au Salon d’Automne, en toute démocratie et les travaux retenus sont alors montrés au public le mieux possible.

A l’approche de l’automne mon esprit critique est en alerte, je me concentre, aucune complaisance ne sera acceptée. « Je vais dévorer de l’art et de l’artiste ! »

Une fois que j’y suis, parfois ça commence mal, je n’aime pas du tout ! Par exemple quand une image est trop attendue. Elle est décevante. J’ai alors une impression de déjà vue qui me gêne. J’aime être étonné par les éléments figurés sur la toile, même si je connais un peu l’artiste et ses préférences iconographiques. Quand cela arrive j’opine du nez et même je fais la grimace !

D’autres fois je suis surpris, mais le rendu pictural n’est pas à la hauteur des connotations qu’il m’inspire ; ce qui est représenté n’a pas la tenue adéquate. Là j’émets tout sorte de murmures gutturaux ; c’est ce qu’on appelle les bruits du connaisseur. D’une facture trop molle ou trop agressive, trop graphique ou trop laborieuse, hésitante ou sans gestuelle propre, l’ouvrage me semble souffrir et les couleurs trahissent des propos qui certainement auraient pu me fasciner. Peut-être y a-t-il un manque de travail ou de constance, mais il peut s’agir également d’absence de jeu et d’humour, d’esprit ou d’idées, d’instinct ou de séduction, enfin de tout ce qui est indispensable à l’homme qui veut rester stable et solide pour provoquer et affronter les fausses apparences. Cet homme là, va toujours de l’avant tout en sachant se laisser porter par le flot vital et par le plaisir de l’instant.

Je soupire alors et tourne le dos. J’aime la beauté, l’art, les mots et la musique ! C’est bien là que l’on reconnaît l’amateur d’art qui ne supporte pas l’amateurisme en art. D’autres fois c’est un peu plus compliqué, j’aime, sans plus, c’est fade sans goût ni saveur. Le pire c’est lorsque je suis déchiré entre deux affects contradictoires. J’ai bien du mal à maîtriser mes pulsions (à asseoir Eros et Thanatos à la même table ronde). Je négocie avec les différentes facettes de ma personnalité pour rester sensible, ouvert. Ma flânerie s’interrompt un bref instant, puis je continue la balade.

« PAF… » Soudain c’est le choc.

Un tableau me fait signe de m’arrêter comme un panneau de signalisation, je pile. J’ai de l’expérience, j’ai quand même mon permis de conduire en Salon d’Automne depuis longtemps.

Je change de locomotion et pousse ma barque alors vers d’autres cieux. C’est à ce moment-là qu’il m’arrive de traverser une zone de grande turbulence. Mon navire est soulevé par une nouvelle vague. Poussée par ce souffle nouveau la toile se gonfle et s’affale de toute sa masse picturale sur le pont de ma pensée. Sa matière colorée recouvre d’un coup toute raison. L’ensemble du répertoire des images qu’il me semblait connaître à la lumière d’année d’érudition sombre dans l’obscurité de la « terra incognita ».

Cette catastrophe risque de me faire perdre le sens de l’orientation, et si je coule à cet instant, fini le voyage.

Heureusement je ne suis pas né de la dernière pluie, j’ai des connaissances scientifiques et je décide de naviguer au sonar. J’émets des bruits d’une longueur d’onde inaudible des sirènes ; en d’autres termes je me surprends à parler tout seul : « C’est nouveau ! » « C’est intéressant ! ».

Enfin je sors un périscope du catalogue et remets les voiles. Ce sont les grandes retrouvailles intérieures, toute ma subjectivité saute au cou et embrasse cette objectivité sauvée de la noyade, de l’ensevelissement, de l’asphyxie, peut-être et pourquoi pas de la crémation.


Johnny a mis le feu !

Je regarde un extincteur et pour me mettre en joie je me dis que cela doit être un ready-made rouge d’un artiste de l’avant-garde institutionnelle. Alors je ris de bon cœur, arborant la banane !

Je poursuis mon cabotage en cabotinage.

Le pire du pire c’est quand je me retrouve complètement débordé ; c’est comme si tout arrivait à la fois.

Il n’y a plus de pilote dans l’avion. Alors là, je reste bouche bée, tendant le bras vers la personne qui m’accompagne comme pour la protéger d’un télescopage inévitable. Mais pas de chute libre, rien qu’un effet d’annonce, une menace d’attentat désespéré, les vieilleries d’un « Djeun », la puérilité d’un fantôme, le tag d’un kamikaze, le graphe d’une bombe humaine…

C’est curieux, c’est le genre de surprise facile à intégrer ; souvent l’effet s’estompe aussi vite qu’il est apparu et c’est fou ce que j’oublie vite ce type de chantage malveillant. Rapidement je me débarrasse de toute prévention, mais je reste néanmoins vigilant. Je suis choqué, voilà tout ! Je préfère de loin l’arrogance de la pub ! Merci, j’ai bien compris le message (massage, matraquage…) mais je ne suis pas le chien de Pavlov qui salive à une décharge électrique répétée, associée puis se substituant à son alimentation ; je n’aime pas être soumis à ce genre d’expériences sur les réflexes conditionnés.

Je veux rester libre ! Je ne suis pas un animal, j’aime m’amuser avec notre langage articulé et tous nos merveilleux outils. Je me moque alors de ma crédulité. Je me gratte la tête circonspecte comme pour y chercher le trou par lequel un peu de sensibilité est ridiculement sortie. Je redresse la tête et poursuis mon chemin. Courageux mais pas téméraire, pour me détendre, je chantonne avec discrétion la chanson de Boby Lapointe « La peinture à l’huile, c’est bien plus difficile…. Mais la peinture à l’eau c’est bien plus beau… » Je reprends mon souffle à certain carrefour où se croisent les ruelles bordées de stand. Certaines œuvres évidemment sont trop simples. Je deviens alors furieux, criant au simplisme. Je pense alors être pris pour un ‘gogol’ de petit Q.I.


Je me sauve avec élégance, cherchant des yeux un niveau plus humain et une altitude artistique plus respirable. D’autres ouvrages sont inversement trop riches en informations, de quoi donner le tournis ou la nausée. On dirait des accumulations d’images et d’activités picturales qui s’entre-dévorent sous vos yeux en niant complètement votre présence, comme une orgie d’exhibitionnistes masturbateurs autistes provocant les pervers voyeurs scandalisés. Si nous ne faisons pas un tri sélectif, ces ors durs visuels pénètrent le regard et remplissent notre mémoire comme le feraient des immondices dans un esprit devenu poubelle.

Enfin bon, il y a quand même de bonnes choses, mais elles ne sont parfois qu’ébauchée, alors qu’on en voudrait plus, trop hésitante voir balbutiante ; ça manque d’un je ne sais quoi !

Ou alors c’est lourd et laborieux, le travail est tellement recouvert de repentirs, qu’on dirait le fait inconscient d’un timide boulimique. Une œuvre brouillonne ne me fait pas l’effet d’être de l’art brut, naïf ou l’élaboration inconsciente d’un malade mentale, mais ce qu’elle est, les traces de la main qui s’essuie.

Ou encore il y a trop de références ; je cherche le mode d’emploi car je ne veux pas mourir idiot. Trop d’actualité médiatique ou de mode superficielle et l’on repousse l’objet vers les arts appliqués ou décoratifs.

Certaines propositions plastiques sont sectaires, aussi il faudrait être un initié pour adhérer à ce trop religieux ou à ce trop engagé politiquement. Des dogmes ou des idées reçues d’une même veine nous assaillent de toute part, alors que je les devine impraticables, non sensuelles et intellectuelles.


Que sont devenues Gnose et Praxie ?

Heureusement au détour du chemin il y a toujours des rencontres inattendues ; la fée ou le bon génie nous attend. Il y a la première œuvre qui impose sa présence d’une façon remarquable, c’est l’évidence même. Le regard se promène aisément sur la surface, les propos sont limpides et poétiques à la fois. C’est original, le sujet est maîtrisé, la manière de faire d’une qualité exemplaire. L’unité de style (d’action) élargit notre univers perceptif, la composition tient notre point de vue, la pertinence des choix chromatiques, de texture, bref tout s’impose. Là, je prends peur, alors je cherche le cartel ; vite, quel est cet auteur dont le nom ne me saute pas aux yeux ?

Ah ! C’est lui, c’est rassurant, bien sûr il y a que lui pour faire quelque chose de pareil, un tel chef d’œuvre ! Je me rassure, l’enfant qui sommeille en moi cherche son adulte intérieur, ou si ce dernier a quitté le foyer familial, la figure d’un Léonard protecteur ! Réflexe salvateur ? L’adrénaline remonte. Ah ! Vite, passons à autre chose, Vite, une médiocrité rassurante à agresser !

Pas de chance c’est une succession de dix chefs d’œuvres qui s’offre à moi. Alors là, je me dis que ce n’est pas possible ; il doit y avoir un « hic » ? Je reviens sur les peintures précédentes, mais rien à faire c’est bien çà ! J’ai beau faire des vas et viens, comparer chaque production, chercher les différences, fort est de constater un même niveau créatif ? Comment peut-on être aussi différent et semblable à la fois ! Tout en étant réunis sous un même toit ?

C’est stupéfiant ! Bravo !


Le Salon d’Automne s’est-il joué de moi ?

Le fait d’être confronté à autant d’individuation est pourtant bien vexant. Ce n’est pas très grand public, consensuel, dirions-nous. Aucun laxisme là-dedans, le maximum est donné. Aucun populisme, le nivellement ne peut pas se faire par le bas. Comprenez- bien ; voilà l’événement !

La recherche d’un juste-milieu, d’une moyenne égalitaire est impossible, je suis obligé de m’élever emporté par l’excellence de chacun. C’est épuisant de ne pas pouvoir mettre toutes les œuvres et tous les artistes dans le même sac !

Dans ce Salon, il faut non seulement marcher mais monter à des altitudes vertigineuses. Je cherche un regard dans celui des autres spectateurs, mais rien !. Je suis seul.

Pervers, je me souviens alors que dans les périodes obscurantistes de notre histoire collective, la terre a été plate. Rassurée par ma bêtise je redescends la pente.

Je m’incline dans le silence, les pieds sur terre. C’est ce qu’on appelle le talent, talent de l’autre, cet auteur, un simple être humain comme moi ! Il y a de quoi devenir nerveux ; on peut comprendre certain comportement délinquant agressif vis-à-vis de tant de puissance existentielle.

Evitons tout dérapage. Je tourne les talons. Chose vue, il est tant de partir, trop d’émotions. Pourtant il reste impossible de perdre un iota de ce qui c’est passé ; le fugitif, l’éphémère est devenu bronze ou marbre, l’impression est gravée, le sens aussi. Je suis dirigé, c’est un chef d’œuvre ? Serais-je le seul à l’avoir vu, lu, entendu, senti, goûté, compris ?

Il est temps de poursuivre la visite. Une certaine jalousie me poursuit alors que je reprends mon périple.

Finalement j’arrive à me rendre de nouveau complètement disponible aux travaux suivants. Puis, c’est la sortie.


Sur le chemin du retour je suis songeur. Une subtile métamorphose s’opère, l’existence de ces gens me submerge de bonheur. Le fait qu’ils puissent communiquer de la sorte me saisi, enrichissant par-là mon fort intérieur. Ma concentration se rassemble alors en un objet immatériel unique : la vie. C’est ce qui va sûrement m’aider à deviner et comprendre un quotidien plus avare en cohérence. Certaines images sont peut-être celles que j’aimerais avoir à l’esprit à mon dernier souffle, comme synthèse de la concision d’un vécu. J’aimerais beaucoup qu’elles m’apparaissent en accéléré, respectant l’ordre chronologique de leur réalisation. Il faudra que j’en parle à d’autres. Mais comment ?

Je vais demander au père Noël !

Jean-Bernard Pouchous

(Commissaire général du Salon d’Automne 2010.

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