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5-COMPAS DE CHINOIS


"Compas de chinois", 2007, acrylique sur toile, 80 x 40 cm.

« (...) il fut convenu que je concentrerais mes efforts sur des personnages surnaturels, ou au moins romantiques, afin de faire naître en chacun de nous un intérêt humain et un semblant de vérité suffisants pour accorder, pour un moment, à ces fruits de l’imagination cette suspension consentie de l’incrédulité, qui constitue la foi poétique. » Samuel Taylor Coleridge (1872-1834) (1).


Réalité imaginaire.

Une fiction est une histoire basée sur des faits imaginaires plutôt que sur des faits réels, pourtant pour qu’une fiction fonctionne, il semble nécessaire que le récipiendaire puisse adhérer à ce qui est décrit. La fiction doit donc créer une impression de réel. L’individu à qui la fiction s’adresse doit pouvoir croire, pendant un temps limité, que ces faits sont possibles (2).

C’est parti! Voyons donc, un peu plus loin que le bout de notre nez ! Dans un œuvre de fiction (roman, film, bande dessinée, mais aussi jeu vidéo, jeu de rôle et peut être peinture), la toile de fond (on utilise aussi souvent l’anglicisme background), est le contexte, l’arrière-plan de l’œuvre. C’est sur cette toile de fond que viennent se greffer les personnages et les actions fictives. Cette toile de fond peut être l’univers réel, à l’époque contemporaine ou à une époque ancienne. Mais cela peut également être un univers de fiction. Cette toile de fond permet d’immerger le récepteur de l’œuvre (lecteur, spectateur, joueur…) dans l’œuvre elle-même. Elle permet d’impliquer le récepteur, et de renforcer la cohérence de l’œuvre.

Dans cette peinture intitulée "Compas de chinois", la toile de fond est une toile cirée aux motifs provençaux. Elle a été achetée sur un marché de Provence comme nappe pour la table de cuisine de notre quotidien familiale. Les motifs sont spécifiques à cette région de part leur répétition de forme bien définie. Sachant cela, peut être que maintenant, le vrai arrière-plan (background) de cette peinture est la Provence ? Située au sud-est de la France, cette région s’étend de la rive gauche du Rhône jusqu’à la rive droite du Var entre les alpes au nord et la mer méditerranée au sud. Mais la Provence dans un sens culturel et touristique, reste un territoire qui s’étend jusqu’à l’est et jusqu’au sud du Gard. Allant au-delà du Rhône jusqu’à Nîmes et jusqu’au fleuve Vidourle des Cévennes, elle peut aller également s’étendre jusqu’au sud de l’Ardèche et de la Drôme. On y parle et écrit le Provençal qui est une variété régionale de l’occitan ou langue d’oc. Le Provençal est une langue de culture possédant une littérature dynamique et brillante depuis le Moyen Âge, dont la réputation internationale a notamment été couronnée, en 1904, par Frédéric Mistral (1830-1914) (3). Grand troubadour du XX e. siècle, il consacra son prix Nobel à la création du "Museon Arlaten" à Arles. Il fut un des sept "primadié" qui fondèrent le "félibrige" (principale organisation culturelle en pays d’Oc) et l’auteur du dictionnaire provençal-français "Lou Tresor dóu Felibrige" (4). « Se fai pas lo civier avans d’aver la lèbre / Se fai pas lou civié avans d’avé la lèbre. » En français, littéralement : « on ne fait pas le civet avant d’avoir le lièvre ».

Bon ! Revenons à notre lièvre à nous ! Maintenant, je peux vous le dire, le vrai arrière-plan de cette peinture n’est pas la Provence ? Bon, mais quel personnage et action viennent se greffer sur ce début de fiction: Le Masque chinois aux yeux hallucinés ? Il a été acheté chez un brocanteur des puces de Clignancourt. Il est en bois peint recouvert de morceau de peau de chèvre pour représenter les sourcils et la barbichette. Au centre du visage du mandarin, j’ai posé un faux nez en caoutchouc. Il représente le museau d’une souris.

Qui est-ce ? Sûrement quelqu’un qui "a du nez", pas Frédéric Mistral ...

Un anti-héros! Bingo! « Vous avez gagnez les doigts dans le nez ! ».

Les deux demi-sphères en aluminium appartiennent à une même passoire ouverte. Une fois refermées l’une sur l’autre ces deux bols forment une boule perforée de tous côtés. Pour cuire des céréales dans un bouillon de légumes ou (et) de viandes, c’est parfait.

Maintenant en regardant les masques et les deux demi boules d’allu., vous devinez "au nez et à la barbe de tout le monde", qu’il s’agit d’un personnage androgyne (moustache + barbichette + seins métalliques = chinois au nez de souris monté sur les deux jambes d’un compas en plastique jaune). « Cela se voit comme le nez au milieu du visage. »

Quelle action joue-t-il et dans quel contexte ou univers ? Normalement un compas sert à tracer des arcs et des cercles sur le tableau noir d’une école pour, par exemple, une leçon de géométrie. En fait, j’ai commandé cet instrument chez un fournisseur de l’éducation nationale pour servir à la réalisation des divers dessins de constructions des figurations d’une peinture murale. On appelle çà le zonage. Le but est de reporter le tracé les contours des différentes zones de couleurs sur une copie de la maquette validée et de les numéroter par teintes sur un nuancier (une cinquantaine de couleurs). Ces zones sont reportées au fusain sur le mur à peindre, préalablement laver, enduit et recouvert d’une impression. Il faut respecter les proportions en passant de l’échelle du quadrillage de la maquette à l’échelle x fois plus grande du quadrillage du mur réalisé avec du bleu de méthylène et un cordeau. On appelle çà la "mise au carré". Et alors pour ne pas trop "se casser le nez" dans la bagarre, le compas est alors indispensable pour le report du dessin, à main levée, mais aussi évidemment pour tracer des arcs et des courbes très géométriques. Ne vous emmêlez pas les pinceaux!

Cette nouvelle donne va nous permettre d’immerger le récepteur de l’œuvre de fiction (c’est-à-dire vous-même) dans une œuvre absente. Elle va permettre d’impliquer le récepteur (c’est-à-dire vous), et de renforcer la cohérence du présent ouvrage “Compas de chinois”.

Chinois, non! Ne croyez pas que je vous mène par le bout du nez!

« Si tu rêves de grandeur, exhausse-toi et tu seras exaucé. » (Paroles d‘un auteur oublié.)

En tant qu’expérience d’une réalité imaginaire, cette activité cognitive n’a pas forcément que des effets bénéfiques chez tous ceux qui la vivent : si l’individu poursuit ensuite son activité réelle en basant et justifiant ses choix d’actions sur cette réalité inventée, son comportement peut être alors ensuite qualifié de mythomanie et même s’avérer parfois pathogène, voire dangereux pour lui ou son entourage, car il ne sait plus comment exercer sa raison pour reconnaître le vrai du faux, ce qui est sincère et ce qui ne l’est pas, ce qui est le fruit de son imagination ou celui de son expérience, et elle peut lui masquer d’autres possibilités de raisonnement ou de liberté d’action. C’est pourquoi cette suspension consentie de l’incrédulité ne devrait être que temporaire. En effet, l’individu qui accepte dès le départ de casser ultérieurement le mythe, pour retourner à la réalité, accepte ainsi de n’exercer ce pouvoir fictionnel, que comme une activité récréative. Elle ne devrait pas être vécue en tant que refus de la réalité. Dans les cas les plus graves de mythomanie, elle peut conduire l’individu à ne plus du tout accepter la réalité et aller définitivement vers le mythe, et justifier des comportements soit suicidaires, soit de marginalisation et de cessation de toute activité sociale. Il se mystifie lui-même, devenant le mystique de son propre désert existentiel, l’ermite oublié est devenu fou. Dans cette fiction, le personnage polymorphe (moustache + barbichette + seins métalliques = chinois au nez de souris monté sur les deux jambes d’un compas en plastique jaune), serait-il un peintre muraliste mexicain? Nos maîtres à tous, dans ce gigantesque mode de représentation picturale (5). Les simulacres mis en place, masques, télétransmissions, phénomènes illusifs, discours invérifiables, etc, participent d’un jeu continuel, celui de la représentation, un jeu organisé ou parfois inconscient, qui oppose ou confond vérité et mensonge, profane et sacré dans le but délibéré de se faire passer pour ce qu’on n’est pas. Il s’agit d’une imposture, comme l’action de faire passer une chose pour ce qu’elle n’est pas, est une supercherie, une mystification, une escroquerie. Quand, la nature d’une chose ou d’une personne se révèle en définitive différente de ce qu’elle laissait paraître ou croire, on peut parler de manipulation (6).

La fiction, « ce mensonge qui dit toujours la vérité. » Jean Cocteau (1889/1963) (7).

Jean-Bernard Pouchous - 2008.

Bibliographie :

-1- Samuel Taylor Coleridge, Biographia Literaria: Or, Biographical Sketches of My Literary Life and Opinions and Two Lay Sermons, éd. George Bell and Sons, 1894.

-2- Jorge Luis Borges, Fictions, éd. Gallimard, coll. Folio, 1974.

-3- René Jouveau, 1941/1982, histoire du felibrige, éd. Jouveau, 2004.

-4- Frédéric Mistral, Lou tresor dou félibrige, éd. Price Regue, coll. Occitania E Gas, 2008.

-5- Monique Plaa, Aspects du muralisme mexicain, éd. PUF, coll. CNED, 2008.

-6- Julien Labigne, Astuces et manipulations mentales : Le guide des illusions psychologiques, éd. Alternatives, coll. Petits carnets futiles, 2007.

-7- Jean Cocteau, La Difficulté d’être, éd. Livre de Poche, 1993.

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