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1-CORNAC


"Cornac", 2006, acrylique sur toile, 80 x 40 cm.

« Il n’y a pas une méthode unique pour étudier les choses. » Aristote (-384 à -322) (1).


Couleur et dessin.

Dans la symbolique occidentale comme orientale, l’éléphant est associé à la mémoire, la sagesse, la longévité et la prospérité, la bienveillance, le père. Cette peinture intitulée "Cornac", nous montre la statuette d’un éléphant et son "cornac".

Ce souvenir, en héritage de mes beaux-parents est quelque part dans la maison.

La sculpture est particulièrement bien réalisée. La masse imposante de l’éléphant d’Asie (soit 3,50 mètres au garrot dans la réalité), les deux bosses de son crâne, ses petits yeux curieux, sa longue trompe charnue, ses puissantes défenses sont, artistiquement parlant, très bien représentés. Deux générations d’enfant l’avaient malicieusement transformé en jouet et cassé. Un jour je l’ai restauré, heureusement tous les morceaux avaient été soigneusement sauvegardés au fond d’un tiroir. J’en ai pris soin tel le "mahout", tout à la fois maître et esclave, guide et soigneur de l’éléphant, le "mahout", ou "cornac", s’occupe d’un seul éléphant au cours de sa vie, c’est dire l’importance de la relation que l’homme de génération en génération a tissé avec cet animal depuis la nuit des temps.

Après restauration, l’objet à repris son lustre d’antan, il est vraiment adroitement sculpté et très bien documenté dans ses moindres détails. La relation homme et éléphant est bien saisie. Quand on sait que l’animal peut comprendre jusqu’à cinquante mots on reconnaît alors volontiers que les échanges entre le "mahout" et le pachyderme, pendant le travail en forêt, doivent être très spontanés et efficaces !

Nos deux travailleurs déplacent une énorme bille de bois précieux couleur acajou. Selon moi, ce n’en est pas, ni ébène, ni amarante, ni palissandre, peut-être du teck ?

L’objet est artisanal, on ne peut pas dire que ce soit une œuvre d’art et sans vouloir revenir sur le propos du "Système des Beaux-Arts" il reste à dire en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Comme le philosophe Alain, nous pouvons affirmer que « toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est l’industrie », mais le propre de l’art est ailleurs : « La caractéristique essentielle de l’artiste, ce qui fait qu’il est ce qu’il est ». Ainsi « ce qui a permis de produire une œuvre belle, la beauté n’apparaît que dans l’œuvre et y reste prise : elle ne peut être dégagée pour produire une autre œuvre belle ».

« Le beau est ce qui est représenté, sans concept, comme l’objet d’une satisfaction universelle… » Emmanuel Kant (1724-1804), dans "Critique de la faculté de juger" (1790) (2) ; ce qui est beau, ce n'est pas un objet, mais sa représentation.

Tout ça trompe énormément !

J’ai vu un éléphant d’Asie au ZOO de Vincennes prendre délicatement une fleur de trèfle avec les narines préhensiles du bout de sa trompe, c’était grandiose et sûrement par chance un trèfle à quatre feuilles.

L’autre objet jaune et violet foncé, sur lequel est posé ce souvenir de famille par alliance, est la recharge d’une bouteille de gaz à usage domestique de la marque TOTAL. En ce début de XXI e. siècle, cette première entreprise française, est quatrième groupe pétrolier intégré coté dans le monde, c’est un géant, un mastodonte, un éléphant ; deux éléphants dans la même image çà peut faire de la casse mais nous ne sommes pas dans un magasin de porcelaine mais dans l'atelier de l'artiste.

Le fond de cette peinture ne nous situe pas précisément dans l’espace, pourtant il n’est pas comme dans l’art abstrait que de la couleur mais figure la silhouette verticale flouttée de deux tubes de néons sous tension.

« Pensez à la part musicale que prendra désormais la couleur dans la peinture moderne. La couleur qui est vibration de même que la musique est à même d’atteindre ce qu’il y a de plus général et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieure. » Paul Gauguin (1848-1903) (3).

L’art abstrait, n’essaie pas de représenter le monde sensible. Cet art se passe de modèle et s’affranchit de la fidélité à la réalité visuelle. Les adeptes de cette pratique artistique ne représentant pas des sujets ou des objets du monde naturel, réel ou imaginaire, mais seulement des formes et des couleurs pour elles-mêmes.

«…En fait, il n’y a jamais eu d’art pur de la couleur ne s’occupant que de la couleur seule et ne se fiant seulement qu’à tous les changements subtils et merveilleux, ainsi qu’aux combinaisons dont la couleur est capable en tant que moyen de sa propre expression. ». Wallace Rémington (1854/1918) (4).

Dans les années précédant la guerre de 1914/18, plusieurs variétés d’art "non-figuratif" ou "abstrait" émergèrent avec les peintres russes : Vassily Vassilievitch Kandinsky (1866-1944), Michel Larionov (1881-1964) et František Kupka (1871-1957). Le philosophe et romancier français Michel Henry (1922-2002) (5), nous le dit dans son livre "Voir l’invisible" : « Kandinsky appelle abstrait le contenu que la peinture doit exprimer, soit cette vie invisible que nous sommes. » L’accent est donc mis sur une fonction émotionnelle de la couleur identique à la fonction émotionnelle de la musique : L’œil musical.

Avant et après la Première Guerre mondiale, Paris est reconnue pour être la capitale de la culture occidentale, notamment avec Robert Delaunay (1885-1941) (6), qui y exposa ses œuvres cubistes, prismatiques, orphiques et simultanéistes. Le peintre non figuratif Jean-Marie Rollot fut aux beaux-arts, mon premier professeur de couleur. A ses dires, il avait été l’assistant de Robert et Sonia Delaunay (1885-1979) (7), pour l’exposition universelle de 1937 (8) ; fort de cette relation privilégiée, il nous racontait que le couple d’artistes travaillait en association étroite, aimait échanger leurs idées, leurs points de vue, et partager leurs chantiers artistiques avec de jeunes talents. Cet enseignement très vivant, bourré d’anecdotes vivantes, me passionna pour la couleur.

La peinture abstraite ne se préoccupe donc pas de représenter les objets qui s’expriment par eux-mêmes.

Entre 1904 et 1929, une première école appelée "de Paris" (9), à Montmartre puis à Montparnasse, au "Bâteau-Lavoir" (10) et à "La Ruche" (11), rassemble peintres et sculpteurs, mais aussi photographes du monde entier qui partagent les mêmes lieux de travail dans une grande disparité d'expressions plastiques. La peinture non figurative est au XX e. siècle l’un des courants les plus importants des années 20/30. Après la guerre, il fut suivi d’une réplique dite de "l’Ecole de Paris" qui se développa à la fin des années 1940 (12) et connu son plus grand succès dans les années 1950, avant d’être supplantée, dans les années 1960, par une peinture américaine qui s’en appropria la continuité (13).

Cette "non-figuration" se disait héritière des mouvements post-impressionnistes, fauve et des avant-gardes abstraites du début du XX e. siècle dont elles auraient fait la synthèse. Elle s’opposait à la figuration réaliste traditionnelle mais aussi aux démarches surréalistes (14), dont les oeuvres de façon générale, renvoie toutes à un spectacle identifiable, objet, figure ou paysage, du réel ou d’un monde irréel né de la seule imagination de l’artiste. Finalement, l’abstraction représentera le fer de lance de l’anticommunisme en s’opposant au réalisme socialiste (15). Le concept de non-figuration impliquerait la persistance d’un rapport à la réalité sensible en libérant le dessin et la couleur mais dans une liaison qui dépasserait le concept dit "primaire" de simple figuration.

Aujourd’hui, nous définissons la couleur consensuellement, en bon scientiste pragmatique comme la perception qu’a l’oeil d’une ou plusieurs fréquences d’ondes lumineuses, avec une (ou des) amplitude(s) donnée(s). L’ensemble des fréquences des ondes lumineuses forme le spectre des teintes (souvent appelé spectre des couleurs) allant des infrarouges aux ultraviolets.

Mais sachez que loin de se matérialisme anti-phénoménologique et depuis longtemps de nombreuses querelles entachèrent l’épanouissement de la couleur sur la toile.

Au XV e. siècle, à la renaissance, un affrontement avait déjà opposé à ce sujet, la Florence néo-platonicienne (la beauté est une idée spirituelle) de Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni dit Michel-Ange (1475-1564) (16) et la Venise aristotélicienne (la beauté est substantielle, matérielle) de Tiziano Vecellio ou Tiziano Vecelli ou Tiziano da Cador, dit Le Titien ou Titien (1490-1575) (17).

La France du XVII e. siècle, tant à elle, connue "la querelle des coloris".

Le théoricien de l’art Roger de Piles (1635-1709), publie en 1673 un essai intitulé "Dialogue sur le coloris" (18). Il y fait l’éloge de l’œuvre peinte de Pierre Paul Rubens (1577-1640) (19), construite par la couleur plutôt que par le dessin. Ces positions convainquent notamment Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1585-1642) (20), duc de Fronsac, pair de France, ministre de Louis XIII (1601-1643) (21), dit le juste, de céder ses peintures de Nicolas Poussin (1594-1665) (22), pour se constituer une collection de peintures de Rubens. La dispute s’est achevée au bénéfice des tenants de la couleur, contre ceux du dessin, ouvrant la voie à des peintres tels que François Boucher (1703-1770) (23), Jean Antoine Watteau (1684-1721) (24) et Jean Honoré Fragonard (1732-1806) (25). Les mêmes questions ressurgiront au siècle suivant, avec l’opposition entre le néoclassicisme dessiné de Jacques-Louis David (1748-1825) (26) et de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) (27), opposés au romantisme coloré de Ferdinand Victor Eugène Delacroix (1798-1863) (28) et Théodore Géricault (1791-1824) (29).

Il faut attendre que le chimiste français Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), centenaire (30), suite à ces travaux sur les acides gras et la saponification contribuent efficacement à une théorie des couleurs pour que celle-ci fût reconnue scientifiquement par les artistes eux-mêmes sous le nom de "loi du contraste simultané des couleurs".

Les Inuits disposent de 17 mots pour désigner le blanc (31).

Jean-Bernard Pouchous - 2009.

Bibliographie :

-1- Jean-Marie le Blond, Logique et méthode chez Aristote, éd. Vrin, coll. Bibliothèque Philosophique, 2000.

-2- Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, éd. Flammarion, Coll. Garnier Philosophie, 2000.

-3- Bérénice Capatti, Eva Adami, Octavia Monaco, traduction Juliette Valéry, Gauguin et les couleurs des tropiques, éd. Grasset & Frasquelle, coll. Jeunesse, 2002.

-4- Wallace Remington, Color Music The Art Of Mobile color, éd. Kessinger Publishing C°, 2004.

-5- Michel Henry, Voir L’invisible : Sur Kandinsky, éd. PUF, coll. Quadrige Granier, 2005.

-6- Roland Wetzel, Sigrid Schade, Amélie Jansen, Robert Delaunay : Hommage à Blériot, éd. Kerber Verlagt, coll. bilingal, 2008.

-7- Sylvie Delpech, Caroline Leclerc, Sonia Delaunay, éd. Palette, coll. L’Art en formes, 2005.

-8- Sylvain Ageorges, Sur les traces des expositions universelles paris 1855-1937. A la recherche des pavillons et des monuments oubliés, éd. Parigramme, coll. Guide thématique, 2006.

-9- Jean-Louis Andral, Sophie Krebs, L’Ecole de paris : L’atelier cosmopolite, 1904-1929, éd. Gallimard, coll. découvertes, 2000.

10- Pierre Daix, Picasso au bâteau-lavoir : L’Atelier du cubisme, éd. Flammarion, Coll. : histoire d'un jour, 1994.

-11- Sylvie Buisson, Martine Frésia, La Ruche, cité des artistes, éd. Alternatives, coll. Art en scène, 2009.

-12- Bernard Dorival, L’Ecole de Paris au Musée national d’art moderne (Trésors des grands musées), éd. A. Samogy, 1961.

-13- Irving Sandler, Le triomphe de l’art américain, tome 1 : L’Expressionnisme abstrait, tome 2 : Les années soixantes, éd. Carre, 2000.

-14- André Breton, Le Surréalisme et la peinture, éd. Gallimard, coll. Folio Essais, 2002.

-15- Régine Robin, Le réalisme socialistes : Une esthétique impossible, éd. Payot, coll. Aux Origines de notre temps, 1986.

-16- Nadine Sautel, Michel-Ange, éd. Gallimard, coll. Folio Biographie, 2006.

-17- Phillips Claude Sir, le Titien, éd; Parkstone Inter, coll. Temporis, 2008.

-18- Roger de Piles, L’idée du peintre parfait, éd. Le Promeneur, coll. le cabinet des lettrés, 1993.

-19- Joost Vander Auwera, Michel Draguet, traduction Catherine Robberechts, Rubens : L’Atelier du génie, éd. Lannoo, 2008.

-20- Jean-Claude Boyer, Barbara Gaehtgens, Bénédicte Gaby, marc Fumaroli, Richelieu, patron des arts, éd. Maison des sciences de l’homme, coll. Passages, 2009

-21- Jean-Christian Petitfils, Louis XIII, éd. Librairie Académique Perrin, 2008.

-22- Jean-Jacques Lévêque, La vie et l’œuvre de Nicolas Poussin, éd. ACR, coll. La vie et l’œuvre, 1988.

-23- Jo Hedley, François Boucher : Seductive Visions, éd. Paul Holberto Publishing, coll. Catalogue d’exposition, 2004.

-24- Dr. Iris Iauterbach, Watteau, éd. Taschen France, 2008.

-25- Marie-Anne Dupuy-Vachey, Fragonard, éd. Pierre Terrail, coll. Sm’art, 2006.

-26- Musée Jacquemart-André, Jacques-Louis David : 1748-1825, éd. Nicolas Chaudin, 2005.

-27- Théophile Sylvestre, Jean-Auguste-Dominique Ingres, éd. Parkstone Inter, coll. Time Square, 2007.

-28- Gilles Néret, Eugène Delacroix : 1798-1863, éd. Taschen France, 2000.

-29- Patrice Béghain, Sylvie Raymond, Bruno Chenique, Stephan Germer, Géricault : la folie d’un monde, éd. hazan, 2006.

-30- Michel-Eugène Chevreul, Georges Roque, Art et science de la couleur, éd. Gallimard, 2009.

-31- Daniel Pouget, L’esprit de l’ours : Croyances et magie Inuit, éd. Pocket, 2006.

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